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Le pré de la Françoise, vis-à-vis du cimetière, s’étend jusqu’au jardin de M. Bertin, et l’on va par un sentier d’une maison à l’autre. C’est la mode à la campagne de pratiquer partout des sentiers, même au bord des chemins, car, si ce n’est pas plus court, c’est toujours plus plaisant, ce qui veut dire au village plus agréable. Les clôtures ne servent guère qu’à délimiter les propriétés, et le droit de parcours est imprescriptible. Ce n’est pas qu’il n’y ait des gens difficiles qui prétendent changer la coutume, disant qu’elle favorise la maraude ; mais ça ne leur sert à rien de boucher les passages, car le premier venu a bientôt fait de les déboucher, et s’il se prend çà et là quelque poire ou quelque noisette, on sait bien après tout qu’il faut que le pauvre monde vive, et que les enfants sont les enfants.

Toujours tricotant, Mlle  Boc était arrivée au bout du chemin ; elle avait dépassé la maison de Luret le journalier, et souhaitait le bonsoir à la femme du tailleur qui était à sa fenêtre, quand, par-dessus le mur à demi écroulé du jardin de M. Bertin, elle aperçut une jeune fille qui sarclait. — Bon courage ! ma mignonne, cria-t-elle de sa voix fêlée. Mlle  Bertin leva la tête, quitta son travail et vint près de la muraille.

C’était une jeune fille d’environ vingt ans, qui n’avait rien de très-remarquable au premier coup d’œil. Les paysans disaient que sa figure était trop blanche, parce qu’elle n’avait pas de vives couleurs ; mais cela ne l’empêchait point d’avoir la peau fine et rosée. Ses traits, assez réguliers, avaient de la délicatesse ; son visage était calme et sérieux. De soyeux cheveux bruns couronnaient bien son front large, et les lignes de sa taille paraissaient élégantes, même sous le corsage froncé d’une petite robe d’indienne brune que bordait au cou un fichu de mousseline blanche. C’était là toute sa toilette, avec un tablier de coton semblable à ceux des paysannes.