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elle jetait les cartes en déclarant qu’il n’était pas possible de jouer avec Lucie.

— Je dors tout à fait, allégua la pauvre enfant qui tenait soigneusement ses yeux à demi clos, de peur qu’on n’y lût tout ce que renfermait son âme.

— Eh ! va te coucher ! dit son père. Clarisse et moi nous jouerons au piquet.

— Avec cela, vous brûlez trop de chandelle, dit Mme Bertin du fond de l’alcôve. Il est dix heures, et c’est le moment, où, suivant le proverbe, les honnêtes gens vont se coucher.

Ce sage aphorisme l’emporta, et chacun se mit au lit, excepté Lucie qui dans sa chambre, après avoir éteint sa lumière, l’oreille tendue aux bruits de la maison, le cœur palpitant, se demandait : Irai-je ? n’irai-je pas ?

Mais il avait dit : J’attendrai toute la nuit ! C’était bien long !

Elle pensa qu’il pourrait venir à la fenêtre. Mais de cette fenêtre à sa chambre il n’y avait qu’un pas, et quelque chose lui dit que ce n’était pas convenable, maintenant que l’amant avait remplacé l’ami.

Au bout d’une heure, assurée que tout le monde dormait, elle descendit l’escalier pieds nus, ses pantoufles dans sa main, et traversa de même en frissonnant le corridor pavé de l’alcôve, d’où l’on entendait le ronflement sonore de M. Bertin. Puis elle ouvrit sans bruit une des fenêtres du nord, et sortit de la maison par la prée.

C’était une nuit pleine de lueurs confuses et voilées ; on entendait au loin, venant de la Grande Ève, le chant des raines qui remplissait l’air, monotone et doux comme une chanson de berceuse. Les vers luisants scintillaient dans l’herbe, petites étoiles rampantes du monde obscur.

La jeune fille se glissa par une trouée de la haie dans le jardin, où Michel rôdait comme une âme en peine.