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lequel se trouve ce qui fait aimer ! Moi, maman, je vois les choses à présent comme elles sont : c’est la forme seule qui mène le monde, et qui règle notre destinée. Quand on demande, à propos d’un mariage : Qui épouse-t-elle ? Un médecin ! un avocat ! un ingénieur ! telle est la réponse. Il s’agit d’un état, non pas d’un être humain. Écarte ce nom de paysan qui te blesse, quoiqu’il désigne la meilleure des professions, et regarde Michel tel qu’il est en lui-même. Ah ! si tu voyais comme moi au fond de cette chère âme, tu dirais avec orgueil dans le langage du monde : Ma fille épouse un des plus nobles et des plus riches partis !

— Tu es aveuglée par l’amour, ma pauvre enfant. Quand ce serait vrai d’ailleurs, personne n’y croirait ; on ne considère pas les choses comme cela, et ce serait toujours notre honte qu’une pareille union. Ah ! peux-tu seulement y songer ! Ta passion est donc bien puissante ?

— Ce n’est point une passion, maman, il me semble. C’est l’affection la plus profonde et la mieux raisonnée, c’est…

— Ce n’est point une passion ! s’écria Mme Bertin en se levant tout à coup avec une irritation extrême. Tu n’éprouves point de passion, et tu veux te mésallier !… Mais cela est indigne ! abominable !…

Trop sincère, Lucie venait de faire une grave imprudence. Elle s’en aperçut et comprit en ce moment que la raison et la franchise ne lui seraient jamais que nuisibles, en face de préjugés passés dans le sang et dans la complexion de ceux qui l’entouraient. Et comme elle répugnait profondément à la ruse, elle eut un mouvement de désespoir, et elle passa dans la chambre voisine, éplorée, laissant Mme Bertin non moins malheureuse.

Elle se reprochait, la pauvre mère, d’avoir elle-même cédé à l’amour en contractant un mariage pauvre, sans