Page:Leo - Un mariage scandaleux.djvu/381

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Elle l’entraîna enfin ; mais il pouvait revenir. Inquiète encore, Lucie continua de veiller, penchée sur la fenêtre et la tête appuyée sur son bras, l’esprit plongé dans ces spéculations ardentes sur le problème de l’avenir, par lesquelles l’homme ne se lasse jamais d’interroger le silence. Elle ne s’était pas trompée : la porte du jardin fit entendre son craquement habituel, et les yeux de la jeune fille, faits à l’obscurité, reconnurent bientôt dans l’allée la forme épaisse de M. Bertin, qui cherchait vainement à rendre son pas léger. Il alla fureter dans le bosquet : elle respirait à peine ; mais aucun bruit n’eut lieu, et elle revit l’ombre massive errer dans les allées transversales. Enfin, il s’arrêta longtemps sous la fenêtre de Lucie, prêtant l’oreille. Elle palpitait de honte et de colère. Oh ! sa mère, elle, ne se fût pas arrêtée là ! Elle se dit, dans un vif élan d’amour : Lui ! Michel n’avilira jamais ceux qu’il aime par de tels soupçons ! Elle en appelait à lui, à sa noblesse et à sa pureté de tout le mal qui la blessait sur terre.

Sous cette impression, elle se sentit plus forte dans sa haine des pauvretés morales, et plus résolue dans son amour du juste et du vrai, en dépit des formes et des classifications. Un grand pas est fait, se dit-elle, que j’aurais trop longtemps retardé peut-être par faiblesse. Tant mieux ! Maintenant il ne s’agit plus que de persévérer avec habileté, en profitant de tout ce qui pourra me venir en aide, et en surmontant l’obstacle à force de patience et d’énergie. Eh bien, je le ferai ! — Elle songeait à Michel, au bonheur qu’il éprouverait d’être aimé, et par ce bonheur elle se sentait payée d’avance de toutes ses souffrances, et même des tourments de son père et des larmes de sa mère ; car entre ces deux génies, la durée ou le passé, le mouvement ou l’avenir, qui se disputent éternellement notre âme, notre sort et l’empire du monde,