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âgé de vingt-quatre ans, est employé dans les bureaux de la préfecture à Poitiers, par le crédit de son oncle, M. Bourdon.

Celui-ci était le fils du juge. Il avait fait d’heureux débuts comme avocat en 1825, et le zélé éclatant qu’il témoigna tout d’abord pour le gouvernement de la restauration l’aurait fait sans doute parvenir à de hautes dignités si 1830 n’eût changé la dynastie. Déconcerté par cet échec, Antonin Bourdon s’était retiré dans son domaine de Chavagny où, faute de mieux, il se livrait à l’agriculture. Actif, habile, intelligent, il propagea les nouvelles méthodes, acheta des machines, construisit des fours et des moulins, doubla l’étendue de ses terres et en quintupla le produit, si bien qu’il devint l’oracle du département en matière agricole. Au courant de toutes les améliorations et de toutes les découvertes, il était en relation avec les principaux agriculteurs de France, de Belgique et d’Angleterre. Il reçut une médaille du gouvernement, et bientôt recommença de tripoter dans les affaires politiques et départementales, en laissant discrètement de côté ce qu’il avait adoré autrefois. Au milieu de tant de soins il suffisait à tout, et réussissait dans tout. À vingt lieues à la ronde et plus, ses fruits étaient les plus savoureux, ses roses les plus belles, ses champs les plus riches.

M. Bourdon était un homme de petite taille, aux traits vulgaires, au teint rougeaud, et qui au premier abord ne pouvait plaire. Mais ses yeux pétillaient de tant d’esprit, et cet esprit était si vif, si aimable, si caressant pour ses amis, si mordant et si redoutable pour ses ennemis, qu’il fallait bien lui reconnaître une supériorité véritable. Extrêmement vaniteux, profondément absolu, cependant il n’était pas méchant, car il aimait beaucoup à rendre service. On le disait peu fidèle à ses devoirs conjugaux ; il est certain qu’il recherchait la société des femmes, et qu’il