bouger. Les vieux de chez vous, c’est la même chose ! et il y en a partout des jeunes qui prennent ça pour vrai ; mais ils ont tort, mam’zelle Lucie. Le bien, ça n’est pas un mélange de tout, un peu de ceci, un peu de cela, et puis quelque autre chose ; non, c’est le bien tout net, et le mal, c’est le mal. Et quand je les vois l’un ou l’autre comme ils sont, ma foi, je tourne le dos, ou bien j’y cours vite et de tout mon cœur, sans m’inquiéter de ce que disent-les gens. Vous croyez que beaucoup aimer ça veut dire qu’on n’aimera plus ! Ah ! mam’zelle Lucie, les fontaines coulent depuis que le monde est monde, et elles ont toujours de l’eau !
— Mais nous ne sommes pas inépuisables, nous, dit-elle en souriant, nous changeons beaucoup, vous le savez.
— Non, il ne me semble point, répliqua-t-il. L’homme, c’est vrai, n’est plus pareil à l’enfant ; mais pourtant c’est bien le même. Le petit poirier que nous avons planté ce printemps, mam’zelle Lucie, dans vingt ans sera bien changé ; mais ça sera toujours la même essence et le même fruit. Il y a les gelées, le mauvais vent, le soleil, la rosée, qui lui feront donner de bonnes récoltes ou de mauvaises ; pas moins c’est un arbre qui portera toujours des poires âcres ou des poires fondantes, suivant le pépin.
— Cela signifie, reprit-elle en cachant son tremblement intérieur sous un enjouement affecté, que vous êtes un arbre de la meilleure essence, et que vous porterez malgré vous de bons fruits toute votre vie, n’est-ce pas ?
— Ça signifie, répondit Michel d’une voix entrecoupée, que je vous aimerai toujours. C’est aussi vrai qu’il est vrai que je suis vivant tout à l’heure et que nous sommes là tous deux. Pour ce qui est de bien faire, je n’en suis pas sûr, mais je sais que j’en ai la grande volonté, selon ma connaissance, et il me semble que je saurai bien faire tant que vous m’aimerez.