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droit de ne compter en cela qu’avec lui-même. Pouvait-il ignorer cependant qu’on jasait à Chavagny de son intimité avec Mlle  Bertin ? Sans le savoir, elle se répondit : Oui, certainement, il l’ignore ; car, plutôt que de me nuire, il quitterait le pays. Depuis quelque temps il vivait toujours seul. Puis elle avait en lui une confiance absolue, qui n’était point seulement instinctive, car l’ensemble des paroles, de l’accent, de la physionomie surtout, et de l’enfantement des idées, crée une connaissance de l’être plus profonde et plus sûre que la moralité d’actions, souvent moins directes et moins spontanées. En lui seul éclataient cette jeunesse de l’âme et cette noblesse de sentiments ; il était le seul dont l’intelligent égoïsme s’élançât ardemment en dehors de lui-même. Ah ! qu’il y aurait de bonheur à le rendre heureux ! à recevoir ses épanchements naïfs et enthousiastes ! Aimable, bon, juste et fort, comment n’avait-on pas le droit de l’aimer ? Avec lui, avec un avenir moral et intellectuel créé par une famille nouvelle, le travail, si rebutant quand il n’a pour objet que les nécessités d’une existence au jour le jour, le travail aurait au contraire des charmes infinis. Au milieu des semailles, déjà l’imagination cueille les fruits de la récolte, et quand on travaille l’un pour l’autre, le partage de la fatigue n’est-il pas aussi doux que celui de la joie ? En ajoutant au terrain de M. Bertin celui de la mère Françoise, Michel aurait assez d’ouvrage pour s’occuper tout le long de l’année. Il n’était jamais bien loin, elle pouvait l’aider, ou travailler près de lui. Mais quel rêve insensé ! Non, mais impossible !

Elle revint à la maison. De temps en temps elle regardait l’heure et voyait avec saisissement approcher la fin du jour. Que dirait-elle à Michel ? Quelle serait devant lui son attitude ? Sous prétexte d’amitié, aller à un rendez-vous secret, était-ce bien sérieux ? Qu’avaient-ils à se