Page:Leo - Un mariage scandaleux.djvu/330

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui, et que cet examen ne servait qu’à le faire aimer davantage.

Elle eût donné tout au monde pour que Michel ne fût pas malheureux ; mais en même temps ce qu’elle redoutait le plus, c’était qu’il ne vînt à se consoler et qu’il ne se mariât un jour.

Pourtant cela est affreux, se disait-elle, je suis égoïste. Moi, regretter le bonheur de Michel ! Mais elle éprouvait malgré elle que l’individu ne peut abdiquer, même par sa volonté, ses penchants et ses droits. En vain, après tant d’autres, elle cherchait le salut dans le pur dévouement. Quelque chose en elle criait et protestait ; quelque chose lui disait confusément : Mais ce n’est pas le lieu ; tu n’as pas d’expiation à faire. Quel vrai devoir te commande ? Qu’y a-t-il de juste et d’utile dans ton renoncement au bonheur ?

Et puis, s’il ne se consolait jamais ? C’était donc pour elle que cet être si aimant et si noble serait dévoué aux ennuis dévorants d’une douleur secrète, au lieu de s’épanouir selon sa nature dans l’amour et l’activité.

Alors, dans ces moments-là, elle désirait mourir, elle eût échangé la santé contre une maladie mortelle, afin de supprimer en elle cette personne qui nuisait si fatalement au bonheur de Michel. Et elle s’agitait ainsi en tous sens, vainement, comme un prisonnier aveugle vis-à-vis d’une porte entr’ouverte, qu’il s’agirait seulement de pousser un peu.

Un jour qu’elle rêvait, courbée sur sa broderie, et souffrant dans les reins et dans les épaules de ce travail assidu, pendant qu’au dehors un soleil radieux réjouissait la nature, assise à la fenêtre, elle vit entrer Frédéric Gorin. Il ne venait pas chez eux d’ordinaire ; la vue de cet homme lui serra le cœur. Avait-il acheté quelqu’une de leurs créances ? Le cordonnier de Gonesse et Mourillon