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besoin de portraits ! Maintenant, ce n’était plus une question pour Lucie que de savoir si elle aimait d’amour. Non, et même elle ne s’efforçait plus guère de s’indigner contre son amour pour un paysan. Elle avait fait deux parts de sa vie, l’une pour la réalité, l’autre pour le rêve. Tout haut, elle était bien encore Mlle Bertin, docile aux usages de sa caste, et tournant dans le cercle des habitudes bourgeoises ; tout bas elle était l’amante ou la femme de Michel. Dès qu’elle était seule, ou même seulement quand on ne l’obligeait pas à parler, elle tombait dans son rêve, suivant avec fidélité les occupations et les détails de cette existence imaginaire, mêlant aux joies de l’amour les soins du ménage et les calculs de l’économie domestique, tant que parfois elle distinguait à peine entre ces deux états de son être quel était le plus réel.

Elle eût sommeillé de la sorte sans trop de chagrin, car, tout en éprouvant le besoin de ce rêve, elle n’avait pas le désir de le réaliser ; mais elle souffrait si vivement de la peine de Michel, qu’il lui fallut se faire une extrême violence pour s’abstenir de chercher à le consoler. Depuis un mois elle n’allait plus jamais le soir au jardin ; elle n’y entrait pas même le dimanche dans la journée, sûre que derrière la haie Michel épiait sa venue. Ah ! comment se faisait-il qu’elle dût repousser ainsi un être si aimant et si dévoué ?

Quelquefois sa vanité s’éveillait tout à coup. Elle s’écriait : Je suis folle ! Cela est indigne ! Elle rougissait alors de la blouse de Michel et de ses mains rudes. Mais ensuite elle avait beau faire : en vain, d’un esprit hautain et irrité, elle examinait son pauvre ami, elle ne trouvait en lui rien autre chose à reprendre. Il était si bon ! si généreux ! si juste ! Il avait tant de franchise et de simplicité ! tant de cette distinction naturelle qui vient de la noblesse de l’être, que le ridicule n’avait aucune prise sur