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— Mais si, reprit-elle en souriant. C’était bien hier. Ah ! c’est étrange ; il me semble, à moi aussi, qu’il y a longtemps.

— À vous aussi ? Et pourquoi cela, mam’zelle Lucie ?

— Vraiment, je ne sais pas, dit-elle en rougissant. Mais pourquoi ne mangez-vous pas, Michel ?

— C’est que je n’ai pas faim du tout.

— Allez-vous donc être malade ?

— Oh, que non ! j’ai peut-être bien la fièvre, mais…

— Vous avez la fièvre ! Ah ! mon Dieu ! en effet, vous êtes pâle ! Michel, ne soyez pas malade, que deviendrions-nous ?

Elle dit cela d’un ton si affectueux, presque si tendre, qu’il en fut un moment comme étourdi de bonheur.

— Ah ! si vous étiez toujours là ! murmura-t-il.

— Faudrait-il donc vous garder comme un enfant ? répondit-elle avec un doux sourire. Ne devriez-vous pas vous distraire vous-même par vos pensées ?

— Je ne songe que trop, reprit Michel d’un air sombre. Tenez, faut que je sorte ! On étouffe ici ! j’y mourrais ! Faut que je pioche la terre, que je travaille, que je trouve à faire quelque chose de difficile et de bon ! Voyons, mam’zelle Lucie, n’y a-t-il pas des choses qui vous rendraient heureuse, ou seulement qui vous feraient plaisir, et que je pourrais faire, quand même faudrait souffrir ou mourir pour ça ? Ah ! vous ne savez pas ?…

— Non ! répondit la jeune fille étonnée, je ne vous comprends pas. Vous êtes d’une exaltation !…

Il se mit à fondre en larmes !

— Vous allez me mépriser ! je ne suis qu’un paysan, moi. Entre ces quatre murs, avec les idées qui me passent par la tête, c’est à devenir fou ! Si j’étais dehors, je marcherais, je travaillerais comme un enragé, et ça me soulagerait un peu !