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n’éprouve, Dieu merci, rien de tout cela. Je suis heureuse de penser à Michel, heureuse qu’il pense à moi, heureuse de posséder un cœur tout à moi en ce monde, un cœur noble et tendre comme celui de Michel. Mais lui, pourquoi semble-t-il malheureux ? À coup sûr, il ne peut avoir la folle pensée de m’épouser, et de se tourmenter pour cela ? Non, c’est impossible !

Lucie n’était pas une de ces vierges comme il s’en trouve dans beaucoup de romans, qui, douées d’une belle instruction, ignorent cependant la loi universelle de la vie. Elle avait appris un peu d’histoire, elle avait lu, elle avait parfois ouvert un dictionnaire, elle avait entendu parler de l’humanité qui vivait autour d’elle par cette même indiscrète humanité. Elle savait enfin ce que savent avant dix ans tous les enfants de la campagne.

Aussi n’avait-elle pas une ignorance impossible, mais une chaste innocence, qui, à beaucoup d’égards, y ressemblait. Ce qu’elle savait cependant n’était pas suffisant pour lui faire comprendre un danger dans la situation qu’elle acceptait vis-à-vis de Michel. Et les scandales mêmes dont elle avait eu connaissance devaient l’empêcher d’y songer, car rien de semblable pouvait-il entrer dans sa vie, ou dans celle de son ami ?

Elle pensa que Michel avait des chagrins qu’elle ne connaissait pas, ou bien qu’il prenait trop vivement la peine de sa situation et de celle de ses amis. Elle se flatta de pouvoir l’aider encore et de le consoler, tout en se laissant aller à des rêves qui la charmaient. Aimer ! être aimée avec tant de délicatesse et d’ardeur ! jouir çà et là de quelques douces entrevues ! échanger des services parfois ! surprendre dans l’âme l’un de l’autre les émotions de la tendresse ! à partir de ce jour, la vie, qu’elle trouvait naguère si obscure et si froide, lui parut chaude et splendide comme un jour d’été.