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toute fumante encore. Mais ces maudits Touron la verraient entrer dans la grange. Comment faire ? Elle imagina enfin que par le plafond de l’écurie, formé de planches espacées, on pouvait passer dans la grange, et qu’en montant sur la crèche adossée au mur de séparation, elle se ferait facilement entendre de Michel. Cachant la soupière sous son châle, elle franchit vivement la cour, entra dans l’écurie, et là, par mesure de prudence, au lieu d’appeler, elle se mit à chanter de sa jolie voix un couplet de chanson.

Bientôt, au-dessus du mur de séparation, qui ne s’élevait qu’à la hauteur d’un étage, apparut entre deux planches la figure de Michel. En se disant bonjour l’un et l’autre, ils rougirent et baissèrent les yeux. Lucie vit cependant que Michel était défait et paraissait triste.

— Vous vous ennuyez beaucoup ? lui dit-elle.

— M’ennuyer ! répondit-il en tressaillant. Non, je ne m’ennuie pas.

— Qu’avez-vous donc ?

— Oh ! je vous donne trop de peine, mam’zelle Lucie. Et puis, ma foi, pour ce que j’ai à faire au monde, ça serait peut-être aussi bien si j’étais mort.

— Vous avez fait de mauvais rêves, pauvre Michel, et vous rêvez encore.

— Oui ! je rêve trop, dit-il en soupirant.

Lucie comprit bien que ce chagrin était de l’amour ; mais elle ne comprit pas que Michel eût tant de tristesse de ce qui lui causait à elle, en dépit d’elle-même, une joie profonde.

Elle promit de lui apporter des livres et s’en alla fort songeuse. Aimer, n’est-ce pas du bonheur ? se disait-elle. Je le sens ainsi, moi. Ce n’est pas que j’aie de l’amour, oh non ! Ces ardeurs brûlantes, dont parlent nos romans, et cette passion irrésistible, et ces tourments secrets, je