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Comment ne pourrait-elle pas prétendre au bonheur d’être aimée sincèrement par un honnête homme !

— Aurélie n’est pas romanesque. J’ai cru devoir, dans son intérêt, ne pas lui faire d’illusions. Elle sait que la vie des femmes est toute de sacrifices. Pourvu que son mari garde les convenances, elle fermera les yeux sur sa conduite hors de la maison, et n’en sera pas moins une épouse fidèle, soumise et dévouée.

— Mais tout cela n’est pas du bonheur, observa le père. Et je ne vois pas pourquoi nous ferions si bon marché par avance de ce bonheur, auquel notre fille a certainement droit.

— Tant d’autres y avaient droit qui ne l’ont point obtenu ! répliqua-t-elle amèrement. J’avoue ne m’être point créé de chimère à cet égard pour Aurélie.

Un silence eut lieu.

— Voilà une étrange résignation ! dit enfin M. Bourdon. Que dans une situation donnée, inéluctable, on fasse valoir de pareils arguments, cela est bien ; mais ériger en principe…

— Ce qui est érigé en habitude ! interrompit-elle.

— Allons donc ! s’écria-t-il avec emportement, il y a des maris fidèles et des ménages heureux. Je chercherai cela pour Aurélie jusqu’à ce que je l’aie trouvé.

— Ce sera peut-être long, répliqua Mme Bourdon. Et rien ne peut t’assurer de n’être pas trompé. Tandis que le proverbe : Il faut que jeunesse se passe, pourrait être invoqué en faveur de M. Gavel.

M. Bourdon ne répondit pas. Évidemment, quoique fort reprochable lui-même, à l’égard de la fidélité conjugale, il ne pouvait accepter pour sa fille l’isolement moral et l’absence des joies intimes, remplacés par cette résignation sèche et solennelle dont se targuait Mme Bourdon. Mais ce retour forcé sur lui-même calma cependant la