l’excitation de la fête, les maisons du bourg étaient plongées dans les ténèbres et dans le sommeil. Le paysan ne connaît pas les longues veilles. Il ne resta d’éclairées que deux maisons sur la place : l’auberge, pleine de sourdes rumeurs, et la maison de maître Perronneau, où retentissaient les accords du violon et le bruit d’une foule joyeuse.
Les portes étaient ouvertes pour donner de l’air. À la campagne, d’ailleurs, il n’y a pas de portes fermées. Au seuil de la salle du bal, s’étaient groupés les humbles de la maison et des maisons voisines, serviteurs pauvres, enfants mal vêtus, vieillards indigents, Lazares qui regardaient, rebut de cette aristocratie de village qui, s’ils eussent aussi donné quelque fête, auraient trouvé sans doute quelque triage à faire à leur tour.
La salle de bal était une chambre vaste, aux murs blanchis à la chaux, dont la grande cheminée de pierre, également blanchie, supportait des tasses de faïence bleue, des bonshommes de plâtre peint, des chandeliers de cuivre et des coloquintes. Deux lits à la duchesse, en indienne rouge à personnages qui représentaient Eucharis et Télémaque dans l’île de Calypso, occupaient le fond de la chambre à droite ; et, comme on manquait de siéges, les plus dégourdis de l’assemblée avaient pris le parti de s’asseoir sur les lits, en dépit des observations aigres-douces de la Perronnelle, qui craignait qu’on ne gâtât ses courtes-pointes. Entre les deux lits, sur une chaise posée sur une table, était juché le violonneux. Trois chandelles allumées éclairaient la salle.
Bien que régnât dans l’assemblée cette liberté joyeuse sans laquelle il n’y a pas de fête pour le paysan, cependant la solennité inaccoutumée de ce bal sur un plancher, dans la belle salle du maire, aux clartés de trois chandelles, et en présence de la bourgeoisie de Chavagny,