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— De bon cœur, dit Michel, puisqu’il est entendu que je n’ai pas tort.

Et il tendit à Gorin sa large main ouverte, que celui-ci prit de l’air d’un enfant boudeur.

— Ce Michel est bien intelligent, disait M. Bourdon à son fils Émile en retournant avec lui au logis. C’est dommage qu’il soit trop âgé pour pouvoir entrer au séminaire ! Il aurait fait un beau chemin.

— Au séminaire ! s’écria Émile, quelle idée !

— Ou à l’armée, répondit M. Bourdon. Mais il eût été mieux au séminaire. Des hommes comme celui-là ne devraient pas rester dans la foule.

— Vous avez des idées… bien libérales, mon père, observa Émile étonné.

— Libérales ! pas du tout, pas du tout. C’est de la bonne politique, et assez ancienne, comme en faisaient Louis XI, Henri IV et même Louis XIV. Non, l’intelligence ne doit pas rester dans la foule ; nous devons lui tendre la main et l’en tirer bien vite. C’est ce que les gouvernements habiles ont toujours fait. N’est-ce pas la conduite opposée à ce principe qui a perdu la restauration ? Et ne vois-tu pas, Émile, ajouta-t-il, comment, une fois sortis du peuple, tous ces grands hommes lui tournent le dos ? C’est qu’en effet ils n’ont plus de rapports véritables ni profonds avec lui. Devenus bourgeois, ils resteront tels en dépit d’eux-mêmes, car ils ont oublié le langage, les besoins, les sentiments du peuple, et désormais, associés à nous, ils sont devenus solidaires de tous nos risques. Ce qu’il y a de bon, c’est qu’à ce mot, sorti du peuple, le peuple se frotte les mains, fier et tout content. Moi aussi, parbleu, j’applaudis, car c’est utile en même temps que juste, et voilà de l’égalité comme il faut l’entendre. Oui, Émile, je le reconnais très-sincèrement, les constituants de 89 ont bâti un grand édifice, un labyrinthe admirable,