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C’était en plein soleil, et la poussière ne manquait pas. On la voyait s’élever sous les pieds des hommes quand ils frappaient la terre de leurs souliers ferrés. El c’étaient les plus beaux danseurs qui frappaient le plus fort et qui levaient le pied le plus haut par derrière. Quant aux filles, elles sautaient aussi, mais presque sans secousse, et pirouettaient plutôt, bien en mesure, penchées de côté, sérieuses et les bras pendants. Entre couples on ne causait guère, mais on s’embrassait quelquefois, et pendant les repos le danseur, entourant de son bras la taille de sa danseuse, jouait avec les cordons de son tablier. Du haut de sa barrique, le violonneux proclamait tour à tour le nom des figures, et chantait l’air de toutes ses forces dans les passages difficiles, où l’instrument s’embrouillait un peu.

Tous les bourgeois de Chavagny, sauf Mme Bourdon et sa fille, étaient là comme spectateurs, Mlle Boc la première, en robe à pointe de soie-puce, avec un bonnet à fleurs, et près d’elle son cousin Frédéric Gorin, qu’elle avait à déjeuner tous les jours de foire et de dimanche, parce qu’il habitait à une lieue de Chavagny. Gorin était aussi faraud que la veille, et même davantage, car il avait changé son gilet de satin noir, gâté par l’eau de la rivière, contre un gilet vert à fleurs d’or triomphalement épanouies sur son ventre bombé. Mais on aurait dit que le coucou l’avait pris à jeun, tant il riait jaune. Émile et Jules s’amusaient à railler en style de collége la tournure et les façons des villageois, tandis que Gustave et Sylvestre, le lorgnon à la main, se posant en roués de la ville, débitaient des fadeurs aux demoiselles.

Clarisse, qui ne voulait pas manquer à la fête, vint appuyée sur le bras de sa sœur. Elles furent bientôt accostées par Chérie Perronneau, un peu plus noire qu’à l’ordinaire dans sa robe de soie verte à reflets violets, mais plus fière qu’on ne peut dire, car elle réalisait ce