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enragée promenade, elle pouvait pas se retenir de pleurer, et Jean, le pauvre gars, il était comme fou, parce qu’il aime Lisa, mam’zelle Lucie. À souper, il ne mangea point, et quand après je le vis sortir avec de grands yeux tout ouverts, qui ne voyaient pas, je fus près de lui dans l’écurie, et je le vis se jeter sur la paille tout de son long, et la mordre avec ses dents. Ensuite, des soupirs qu’il faisait !… tant que les bœufs s’en retournaient et le regardaient d’un air tout bête. Moi, je tâchai de le reconsoler, en sorte qu’il vit que je savais à peu près la chose, et qu’il me conta le tout.

Michel s’arrêta. Lucie, les yeux baissés, grattant du bout des doigts la mousse du vieux cadran, restait silencieuse. Michel reprit avec un nouvel effort :

— Eh bien ! mam’zelle Lucie, peut-être n’entendez-vous pas bien encore pourquoi il faut empêcher le mariage de vot’ cousine ? Comment vous dire ?… Voyez-vous, je serais content, moi, si je pouvais prendre ce Gavel au collet, là, devant tout le monde, et lui crier qu’il n’est qu’une canaille, en lui crachant à la figure.

Michel parlait d’une voix vibrante. Son visage était couvert d’une généreuse rougeur, et ses yeux lançaient des éclairs d’indignation. Lucie vit à peine qu’il était beau ainsi, tant il lui parut noble. C’était la première fois que devant elle, sur un pareil sujet, une bouche d’homme s’ouvrait pour flétrir, au lieu de sourire. Elle en fut touchée jusqu’au fond de l’âme.

— Ah ! vous êtes juste et bon, Michel, s’écria-t-elle. Eh bien ! dites-moi ce qu’il faut faire.

Il la regarda tout étonné en même temps qu’heureux.

— Ce qu’il faut faire, mam’zelle Lucie ! parler à vot’ tante, et lui dire que son futur gendre a déjà femme et enfant dans le pays.

— Ah ! fit Lucie.