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gente et si douce ! un front si élevé ! des yeux si vifs et si noirs ! Cadet a l’air honnête, Michel a l’air noble. Les mouvements de celui-là, malgré sa jeunesse, ont de la gaucherie et de la lourdeur ; celui-ci a vraiment de l’élégance, et puis, comme Gène, le goût des choses élevées, du tact, de la sensibilité. Ils sont faits l’un pour l’autre, comme disent les romans. Pourvu que Michel pense à Gène ! Car elle, il serait bien impossible qu’elle hésitât entre Michel et Cadet.

Lucie se complut dans l’idée du bonheur de son amie. Elle se représenta Michel et Gène mariés vivant à l’aise aux Tubleries du produit de la vigne, du jardin et du champ. Elle vit Gène vaquer aux soins de la basse-cour, et du ménage, un petit enfant dans ses bras, puis, toujours, avec le doux fardeau, elle allait s’asseoir au bord du champ que labourait Michel, et celui-ci, en conduisant ses bœufs, jetait sur l’enfant un doux sourire, et regardait sa femme… comme il pouvait regarder celle qu’il aimerait tant !

Mais à cet endroit du rêve, Lucie dut étouffer un soupir. Comme elle avait résolu de ne plus se livrer au chagrin, elle se mit à penser à autre chose.

Elle était en veine de comparaisons, car elle en fit une autre assez étrange entre Michel et son cousin Émile Bourdon. Certes, Émile était un bon garçon ; mais excepté son admiration sentimentale pour Mlle de Parmaillan, Lucie n’avait jamais surpris en lui l’émotion d’une pensée, ardente. Ceux de ses jeunes amis qu’il amenait quelquefois à Chavagny, avaient aussi bien que lui-même le ton léger, tranchant, railleur à tout propos. Ils ne témoignaient guère de considération que pour eux-mêmes, et, que ce fût naturel ou volontaire, jamais un mot d’enthousiasme ne leur échappait. Michel, au contraire, était plein d’exaltation ; il joignait un bon sens