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pondit-il avec embarras, je puis ben vous le dire. C’est que… ai-je pas vingt-deux ans ? Et c’est pas le tout que d’étudier, il faut vivre… faire comme les autres… se marier… Et quand j’y pense aussi, à cela, ça m’affole d’une autre manière… Ah ! c’est un grand tourmentement que la vie ! Autrefois, dans le temps de sa petite jeunesse, on était ben plus tranquille. Et pourtant ça n’est point une vraie peine que d’être remué comme ça si grandement, est-ce pas ?

— Quelquefois, répondit-elle en hésitant.

— Ah ! s’écria-t-il avec beaucoup de vivacité et de sympathie, vous avez du chagrin, mam’zelle Lucie, je le sais ! Quand je vous ai rencontrée l’autre soir dans la Prée, vot’ voix m’a dit que vous aviez pleuré.

— Non, non, balbutia-t-elle avec confusion ; puis revenant à plus de franchise : Eh bien ! oui, Michel, j’ai mes chagrins. Vous savez, on prétend que chacun a les siens… Mais je ne comprends guère les vôtres.

— Je n’en ai point, mam’zelle Lucie ; des invaginations comme ça tout au plus, des folies… Je puis ben vous le dire, puisqu’il n’y a pas de mal ; et ça m’est un charme de causer avec vous, car je ne cause jamais comme ça avec personne. Eh ben ! c’est que je songe grandement à me marier, mais seulement avec une fille que je pourrais aimer tant, oh ! mais tant !… que peut-être ne la trouverai-je… Si je disais ça à d’autres, ils se moqueraient de moi, au moins.

— Je ne me moquerai pas de vous, moi, répondit Lucie, je trouve que vous avez raison. Mais je connais celle qui vous conviendrait, il me semble, c’est Gène.

— Peut-être bien, répondit Michel d’un ton rêveur.

Ils arrivaient à Chavagny. Quoiqu’il ne fût pas dix heures, tout le monde était couché déjà, les maisons étaient obscures et même aussi les cabarets, vu que ce n’é-