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Elle n’a pas voulu ni des plus huppés, ni des plus riches, et c’est Michel qu’elle veut.

— On assure, continua M. Bertin, qu’elle a pris le parti de le lui dire, voyant qu’il ne voulait pas la comprendre, et que tout de suite après Michel est allé demander au père son congé.

— Et que le père le voulait garder ! et qu’il a dit à Michel qu’il aimerait mieux pour son gendre un quelqu’un honnête homme et bon garçon qu’un mauvais sujet bien riche ! Et quoique ça, Michel a parti.

— C’est un drôle de corps, dit M. Bertin.

Cadet se leva de table. Il s’en allait, suivi du petit François, faire la mérienne (méridienne) dans la grange, sur la paille avec ses bœufs.

— Est-il possible, demanda Lucie, que ce paysan pauvre soit plus désintéressé que tant de riches bourgeois, et qu’il ait refusé d’être millionnaire ? Crois-tu cette histoire vraie, papa ?

— Ma foi ! oui, puisque tout le monde le dit, et que la fille, il paraît, ne s’en cache pas. Château-Bernier d’ailleurs n’est pas si loin.

Une étrange émotion saisit le cœur de Lucie. Elle ne connaissait que par ouï-dire la plus grande part des choses, et le monde pour elle n’était qu’une vague abstraction. Mais pourtant, sur le petit théâtre où elle était placée, l’avidité des richesses, la haine et le mépris de la pauvreté gouvernaient aussi les actions humaines. Elle n’imagina donc point, d’après le désintéressement de Michel, qu’on avait calomnié les hommes ; elle se dit : Il y a des hommes supérieurs aux autres, et Michel est de ceux-là. Alors elle se sentit heureuse de trouver enfin près d’elle de ces choses qu’elle avait rêvées, comme appartenant à des temps antiques ou à des lieux inconnus. La vie lui en parut plus belle, plus attachante, plus vaste. La joie du bien et du