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vrage manquait. Je vis un mauvais sourire sur les lèvres du voisin.

» — Eh ! eh ! me dit-il, c’est toujours comme ça. Les jeunes gens partent avec de belles idées et de belles promesses ; mais dans les grandes villes…

» Non ! non ! Julien ne pouvait pas être ingrat ni trompeur. Je me répétais cela sans cesse ; mais je souffrais… que c’était pitié !

» Puis, je reçus encore un billet et un peu d’argent. — Rien de sûr, me disait-il ; il fallait attendre encore. Et ce furent les dernières nouvelles. En vain j’attendis, en vain j’écrivis, c’est-à-dire je fis écrire… Oh ! la grande tristesse que de ne pouvoir dans l’absence parler soi-même, seul, à ceux qu’on aime ! que d’être forcé d’ouvrir à des étrangers une moitié de son cœur en retenant l’autre, et de n’épancher le sentiment qui vous brûle qu’à travers la glace de l’indifférence, ou de la moquerie d’autrui !

» Toute ma vie se tendit sur un seul point : l’heure où chaque jour le facteur apportait les lettres ; et les jours et les heures étaient longs dans cette attente, et chaque fois devenait plus rude le coup de la déception. Ma tête se monta ; je me dis enfin que peut-être Julien m’oubliait, me trahissait. Il y avait longtemps que je lisais cette idée dans les regards de pitié qu’on jetait sur moi : elle m’entourait de tous côtés ; quand je n’eus plus la force de la repousser, je fus perdue.

» Aucune consolation, aucun sage avis ne m’était donné ; mon chagrin, renfermé tout en moi, me rongeait le cœur ; mais j’en serais morte avant de le confier à personne ; car je voyais les gens triom-