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disait : « Elle chasse de race… » Hélas ! je n’aurais pourtant demandé qu’à être honnête, si on me l’avait permis ! Pourquoi exige-t-on des malheureux qu’ils soient plus forts et plus méritants que les autres, quand précisément ils sont plus faibles ! Est-ce Juste ?

» Julien m’aimait ; je ne pouvais pas être tout à fait malheureuse ; mais l’on ne s’attacha qu’à gâter ce pauvre bonheur, qui ne nuisait pourtant à personne. On s’efforça de détacher de moi Julien ; on le pressait de faire un autre mariage. Si je n’étais pas sa femme, — bien qu’il me semblât à moi, — Joséphine était bien sa fille ; c’étaient pourtant des pères et des mères qui lui conseillaient d’abandonner son enfant ! Les gens, parfois, comprennent bien étrangement les choses.

» Les parents de Julien aussi parlaient contre nous et nous faisaient tort de toutes manières. Qui nous était favorable et nous faisait travailler devenait leur ennemi. On les craignait. Il faut peu de chose pour faire pencher du côté de la misère le sort de l’ouvrier. Le travail manqua, la maladie vint, et nous n’eûmes point le secours que, dans les plus pauvres familles, on se prête. Avec cela point d’avance ; nous souffrîmes beaucoup.

» Enfin, voyant que nous étions dans notre village plus mal qu’ailleurs, Julien se décida de s’en aller à Paris, où l’on gagne de fortes journées. Il vendit ses outils et sa forge et partit, me laissant de quoi vivre pour un peu de temps : il devait m’appeler près de lui, dès qu’il aurait trouvé de l’ouvrage, et mis de côté quelque chose. Je travaillais d’ailleurs de toutes mes forces pour gagner quelques sous par jour, et di-