Page:Leo - Marie - la Lorraine.djvu/95

Cette page n’a pas encore été corrigée

Tout à coup des cris déchirants raptent de l’étable. Marie s’arrête, écoute, pore son panier. Maitresse Chazelles pousse un cri, car elle a reconnu la voix de sa fille Annette ; elle veut s’élancer… Mais un des soldats la couche en joue, et son mari l’arrête par le bras.

En ce moment, Annette sortait de l’étable… Dans quel état !… Ses vêtements sont déchirés, souillés !… Le fichu virginal qui se croisait sur son cou est arraché ; la chemise ouverte laisse voir à demi sa gorge presque enfantine… Mais par-dessus tout, les traits de son visage dénoncent, crient une horrible vérité. Cette enfant convulsionnée, folle d’horreur, vient d’être la victime d’un crime épouvantable. Elle s’avance en poussant des cris rauques, les bras étendus, avec de grands yeux hors de la tête, et qui ne voient pas, trébuchant contre les pierres…

Tous ont compris. La mère, en jetant un cri terrible, est tombée raide sous le coup ; le père saisit une bêche qui se trouvait là, il se précipite vers l’étable, et, comme un soldat prussien veut l’arrêter, il lui fend la tête. Jérôme a pris un bâton ; le pauvre vieux père Galey lui-même, ramassant une pierre, l’a jetée à la tête des soldats. Car devant un crime plus grand que l’assassinat, toute prudence s’évanouit, il n’y a plus qu’indignation chez les gens de cœur. Mais les soldats sont armés, ils sont en nombre. Deux coups de fusil partent ; d’autres soldats accourent ; on se jette sur les trois malheureux, et ils sont garrottés et criblés de coups.

Du lieu où Marie se trouvait, en face de la porte ouverte de l’étable, elle avait pu la première voir et comprendre. Elle avait vu dans l’ombre, derrière sa sœur. un Prussien qui la suivait et qui s’était arrêté avant le seuil, s’appuyant sur la porte d’une contenance lâche et avec un ignoble sourire.

Par un de ces mouvements si vifs qu’ils ne permettent pas la réflexion, Marie arrache un fusil au faisceau qui se trouvait près d’elle, vise le Prussien, fait feu, et le voit tomber. Étonnée elle-même de son action, elle se précipite alors dans l’étable, en barricade la porte derrière elle, tandis que les soldats occupés à contenir les fermiers ne se sont pas rendu compte de ce qu’elle a fait. Cependant, elle sent bien qu’un instant de plus elle est perdue ; elle a gardé le fu-