Page:Leo - Marie - la Lorraine.djvu/78

Cette page n’a pas encore été corrigée

Prussiens. Et, à présent, on serait battu par les Prussiens tout seuls avec leurs petits Bavarois ? Ce n’est pas possible !

Le père Chazelles garde toujours le silence, mais sa figure est parlante de grand souci, et la mère entrant dans la maison va s’asseoir la tête dans ses mains en gémissant ; car chacun de ces coups sombres la trappe au cœur.

On n’eut pas de nouvelles ce jour-là ; mais le lendemain un brait terrible se répandit que l’armée française avait été défaite, hachée, non-seulement à Forbach, mais en d’autres lieux, à Wissembourg et à Frœschwiller, et que les Prussiens étaient en France.

— Ce n’est pas possible, répétaient Jérôme et François.

Et celui-ci, pour avoir des nouvelles sûres, courut jusqu’à Saint-Avold. Mais le soir, quand il revint au Bourny, on n’y avait déjà plus rien à apprendre ; car la route était couverte de soldats à la débandade, harassés, poussiéreux, hagards ; de voitures lancées au galop, dont les chevaux parfois s’abattaient ; de charrettes vides, menées par des réquisitionnaires affolés. Plusieurs soldats mourant de faim et de soit étaient venus à la ferme demander du pain, du vin, ou de l’eau, et partaient de leur défaite avec des visages enflammés de honte et de colère.

— Ça n’est pas notre faute à nous, disaient-ils ; on nous fait camper n’importe où, au milieu des bois, sans s’occuper où est l’ennemi. L’ennemi, il y est, et, au moment où l’on s’y attend le moins, particulièrement quand on commence à manger la soupe, crac ! il vous tombe dessus. Et puis, il en a, lui, du canon ! Tout un tremblement ! pendant que nous antres, niche ! rien du tout, ou presque rien. On court en avant… Mais, quand on serait le diable, il faut tomber avant d’arriver ; les obus vont plus vite que les jambes. Ah ! s…c…, c’est tout de même dur !

ANDRÉ LÉO

(À suivre.)