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de faim ; on a froid la nuit. Enfin ça tout l’air de travailler pour le roi de Prusse, mais pas pour nous. Au revoir, tout de même, j’espère ; mais ça ne sera pas la faute aux intendants.

» Il y a ici des Juifs qui vendent tout ce dont on a besoin, seulement dix fois plus cher que ça ne vaut, à commencer par le pain. Ces gens-là nous écorchent en attendant que les Allemands nous tirent dessus. Je n’ai déjà plus d’argent, et ce n’est pas pour avoir fait bombance. Mais bah ! faut pas songer à m’en envoyer, parce que sans doute que quand ma lettre vous arrivera nous serons déjà en Prusse. J’embrasse le père et la mère, qu’il ne faut plus qu’elle pleure, attendu que nous reviendrons, et tous les frères et sœurs, ainsi que les amis.

» Votre fils de tout son cœur,

» Jacques CHAZELLES. »

On était au 6 août. Le Bourny avait son aspect accoutumé, sauf qu’on n’en entendait plus sortir, comme autrefois, toute une musique de voix joyeuses, les gens, dans leur tristesse, allant et venant silencieusement. Il n’y avait que le petit Pierre, pauvre enfant, trop jeune pour que le chagrin pût rester en lui, qui riait et jouait tout seul, ou avec les chats et le chien. Il trouvait que la mère n’était pas raisonnable de pleurer, puisque Jacques et Justin avaient dit qu’ils reviendraient. Et comment pouvait-il y avoir du malheur au monde quand le soleil luisait si brillant dans le ciel bleu, quand les fleurs poussaient comme à l’ordinaire, que les papillons volaient aussi beaux qu’auparavant, que les vaches donnaient encore de ban lait, que les pêches mûrissaient et que le petit Pierre pouvait toujours, aux champs, grimper sar l’ânesse et la faire courir. Et les abeilles ! ne sont-elles pas contentes et bourdonnantes, au milieu des fleurs bleuâtres qu’elles aiment ? Et comme elles s’élèvent dans l’air ! Oh ! tant que ça ! Oh ! c’est un essaim ! Encore un essaim ! Père ! père !

Et l’enfant court de toutes ses forces, haletant de joie et fier de son utilité, prévenir son père et ses frères, qui tra-