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n’entendent par le bon ordre autre chose que de faire fusiller ceux qui trouvent à redire à leurs voleries ou à leurs sottises. Mais vous savez aussi bien que moi, maitre Chazelles, que le bon ordre, c’est tout simplement que chacun fasse honnêtement ce qu’il a à faire, et qu’il n’y ait pas de tromperie.

— Sûrement.

— Eh bien, ce bon ordre-là, le vrai, nous ne l’avons pas au gouvernement de la France, et nous ne l’aurons jamais tant que le peuple ne saura pas faire ses affaires lui-même et tenir la bride ferme aux gouvernants.

— Pourtant, monsieur, est-ce à croire que des gens riches, des gens comme il faut… ? L’empereur doit voir à ça.

— Vous avez toujours confiance en l’empereur, maitre Chazelles. Fort bien, nous verrons plus tard. Comme je vous dis, à présent que la guerre est déclarée, j’aimerais mieux me tromper. Au revoir !

Ils se quittèrent, et, bien que Chazelles voulût se dire, avec mécontentement, que cet homme-là croyait toujours à mal, il se sentit encore plus triste et plus inquiet qu’auparavant.

Bientôt, le Bourny eut un spectacle qu’aucun de ses habitants n’avait jamais vu, et qui faisait oublier à petit Pierre le soin de ses vaches. Tout le long du jour, et souvent la nuit, ce fut, sur la route, un défilé de soldats, d’équipages d’artillerie, de fourgons. Les garçons avaient fini par trouver cela beau ; le père Chazelles se laissait aller à leur conter les histoires de guerre de son père, qui avait été soldat sous le premier empire. Mais la mère n’en voulait rien entendre, et fermait la fenêtre pour ne pas voir.

À la fin de juillet, on reçut une lettre de Jacques, où il disait : « Si ça continue d’aller comme ça, ça sera joli. On s’est imaginé de nous faire partir d’abord, et puis les vivres après, en sorte que nous n’avons rien à nous mettre sous la dent. Pas de souliers non plus. Pas de baraquements, enfin traités comme des chiens, en attendant qu’on nous envoie au feu. Mais il y en a déjà beaucoup de malades. Ça n’est pas étonnant. On crève