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L’occasion fait le larron. C’est pour cette même raison qu’on doit surveiller le gouvernement, et lui demander souvent des comptes.

— Bon, ça n’est plus maintenant comme autrefois.

— Ça y ressemble plus que vous ne pensez. Les pillards et les partageux ne sont point où on les cherche et vous savez le truc du voleur qui montre quelqu’autre en criant de toutes ses forces : au voleur !

— Dieu merci, monsieur, nous ne mourrons point de faim, à ce qu’il me semble.

— Non pas vous ni les vôtres ; mais il faut penser à tout le monde ; la misère est grande en plus d’un endroit.

Certes, le temps est passé où l’on pouvait affamer le peuple jusqu’à l’obliger de manger de l’herbe et de tomber mort sur les chemins ; non ça ne peut plus aller jusque-là ; mais quand on lui ôte le bénéfice des temps nouveaux où nous sommes, en l’empêchant d’être mieux, en le faisant rester dans la pauvreté et l’ignorance, en le privant le plus possible des avantages du progrès, c’est comparativement la même chose. Et qui sait, d’ailleurs, outre cela, quels grands maux peuvent foudre sur nous ? Un peuple qui se laisse mener sans savoir où on le mène peut courir de grosses aventures.

— Allons ! allons ! monsieur, faut espérer qu’on ne nous fera pas casser le cou.

— Je n’en sais rien, maître Chazelles ; mais, à vrai dire, j’en ai peur.

— Ah ! ah !… tranquillisez-vous, monsieur, tranquillisez-vous !

Et le vieux paysan prit en riant congé du jeune bourgeois.

— Malgré tout, cette conversation avait donné à penser à maître Chazelles, car bien des choses que lui avaient dites M. Cordier ne lui avaient pas semblé manquer de bon sens. Mais l’habitude est une chose qui tient fortement les hommes, et il fait bientôt par n’y plus songer, à force de se répéter :

— Bah ! nous n’avons pas le temps de nous casser la tête de tout ça, nous autres ; et puis le moyen de savoir au juste ce qui en est ?

ANDRÉ LÉO

(À suivre.)