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autres, qui ne mettons pas le nez dans les journaux et ne demandons qu’à travailler, ces idées-là ne nous tourmentent point.

— Sapristi ! maître Chazelles, vous êtes dur à entamer ! Ainsi, vous ne croyez pas encore du tout qu’il serait plus avantageux pour vous de savoir comment vont les choses et de les faire aller selon votre idée et votre besoin, que de les laisser à la volonté d’autrui ?

— Je dis, monsieur, que chacun doit faire son métier. Nous, cultivateurs, nous labourons ; le gouvernement gouverne.

— Et s’il gouverne mal ?

— Bah ! quoi que vous disiez, ça ne peut pas nous faire grand dommage.

— Vous croyez ? Je vas vous dire en deux mots une histoire qui est de l’histoire : Il y a cent ans à peu près qu’on s’est mis à trafiquer de la subsistance du peuple, en faisant le commerce des grains. Le roi, du premier coup, reçut pour dix millions de francs d’actions, sans compter sa belle part de bénéfices. Le premier ministre sa fit, en deux ans, un million deux cent mille francs de rentes ; les autres eurent chacun leur part du gâteau, et le résultat fut que le peuple de France mourut de faim. Grâce aux monopoleurs et aux accapareurs, le blé monta à des prix fous ; en même temps, la taille et les traitants arrachaient au pauvre son dernier écu. Cela dura plus de vingt années, pendant lesquelles des milliers d’hommes, de femmes, d’enfants agonisèrent et moururent, au profit des débauches du roi et des seigneurs et des grosses fortunes qui se firent. Au bout de vingt-quatre ans, le peuple à la fin trouva qu’il avait tort de ne pas se mêler de politique et il fit une grande révolution.

— Ah ! oui, la Révolution !… je sais… Tout ça est bien vieux.

— C’est toujours nouveau, maître Chazelles, parce que les hommes sont toujours les mêmes. Conseilleriez-vous à un fermier de ne pas surveiller ses domestiques ?

— Non, point.

— Sûrement, parce que vous savez très bien que s’il y a d’honnêtes gens, il y en a aussi qui n’ont pas de conscience, et que même souvent les meilleurs se gâtent à être laissés trop à eux-mêmes.