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souillé, broyé, perdu !… C’était donc pour ça qu’il avait travaillé pendant près de cinquante années !… C’était donc pour ça qu’il avait élevé ses enfants avec tant de mal, de soins et d’amour ! C’était là le fruit de tant de peines !

Misérables ! s’écrie Jérôme sursautant, ils mettent le feu !…

C’était vrai. Déjà la fumée s’élevait des étables, de la grange et de la maison que le détachement abandonnait, hâtant dans la cour ses préparatifs de départ. Un officier parla aux soldats en allemand, leur désignant les prisonniers, et son ton et son geste disaient clairement : — Faites vite ! — Alors, de nouveaux soldats armés s’approchèrent et l’on fit mettre les trois hommes de front, au bout de l’aire. Jérôme pâlit, mais resta debout. Le pauvre petit père Galey se jeta à genoux, demandant grâce.

— Las ! disait-il, je n’ai jamais eu que de la misère dans ma pauvre vie ; ne me faites pas finir ainsi. Ne me tuez pas !

Le vieux Chazelles, lui, se redressa plus grand qu’à l’ordinaire, et, les yeux rouges de sang et pleins de flamme, il étendit le bras, en criant de toute sa force :

— Malédiction sur les empereurs et rois, fléaux du pauvre monde. Napoléon III ! Guillaume de Prusse ! moi le paysan, l’homme de paix et de travail, je vous maudis !…

À peine achevait-il que, trappé de plusieurs balles, il chancela ; sa main étendue rencontra l’épaule de son fils, et ils tombèrent ensemble près du père Galey. Puis, comme ils vivaient encore, on les acheva.

Les francs-tireurs étaient partis avant l’aube. Mais le chemin était long et plein de dangers. Il leur fallut faire de nombreux détours, filer à l’abri des haies, et marcher le plus possible à couvert. Ce fut par le bois du Bourny qu’ils débouchèrent, et, malgré la prudence qui leur était commandée, plusieurs d’entre eux laissèrent échapper un cri en voyant les flammes sortir du toit des étables et par les fenêtres de la maison. La cour alors était vide et l’on apercevait sur la route, du côté de Courcelles, une troupe vêtue d’uniformes sombres et coiffée de casques pointus qui cheminait, traînant à sa suite quelques charrettes et une fille de bétail.

— Trop tard ! s’écrièrent François et Louis, avec désespoir.

Tous coururent ; mais il reconnurent