Page:Leo - Marianne.djvu/97

Cette page n’a pas encore été corrigée

Elle se mit à rire.

— La pureté de mes mœurs ? Eh bien ! pourquoi pas ? Les jeunes filles sont si crédules… quand elles veulent l’être. Ceci, c’est mon affaire. Mais avant de bâtir, il faut démolir, et c’est pour cela que je compte sur vous.

— Ne vous gênez pas ! Elle est belle, cette mission que vous me confiez. Cette bonne Mme Brou qui m’affirmait l’autre jour que j’étais son intime amie.

— Eh bien ! on n’est jamais trahi que par les siens. Après tout, quel mal y a-t-il à dire la vérité ? On trompe cette jeune fille.

— Mais je n’en sais rien.

— Allons donc ! je n’en sais rien non plus, mais je vous l’affirme. Au reste, je ferai causer Emmanuel Fourachon et Labobière. Chère madame, quelle bonne idée ! quel fin esprit vous avez ! Vous me permettrez bien d’aller vous voir de temps en temps, pour notre petit complot ?

— Pas trop souvent ; vous êtes si compromettant !

— Ah ! je serais si heureux de vous compromettre !

— Comment ?

— Mais oui, parce qu’alors, le plus grand mal étant fait, cela ne vaudrait plus la peine d’y regarder.

— Vous êtes… Non, cela est abominable !… Je ne dirai rien de vous.

— Si.

— Non.

— Je vous assure que si, et je compte sur vous comme vous pouvez compter sur nous.

En même temps, il la reconduisait à sa place, où il s’inclina profondément devant elle. Marianne et Emmeline arrivaient en ce moment.

— Je suis chargée de vous conduire au jardin, près de M. et de Mme Brou, mesdemoiselles, dit Mme Touriot.

Et, se retournant vers le bel Horace, qui offrait ses hommages à Marianne :

— Vous devriez, lui dit-elle, nous faire danser un quadrille sans numéro.

Elle prit le bras de Marianne et fit signe au major d’offrir le sien à Emmeline. Ils rencontrèrent promptement M. et Mme Brou qui surveillaient le péristyle. Mme Brou, venait d’épancher sa colère dans le sein de son mari, elle se sentait mieux. Mais la soirée était admirable, la fraicheur délicieuse ; les lanternes vénitiennes faisaient dans les arbres un effet charmant. Le quadrille sans numéro suspendit les engagements de ces demoiselles ; on accéda facilement à la proposition émise par Mme Touriot de faire un tour de jardin.

Le docteur voulait prendre le bras de sa pupille.

— Laissez, dit l’aimable Parisienne c’est ; moi qui veux la gronder.

Et, sur cette entrée en matière, elle mit l’entretien au cœur de la question.

— Ma chère enfant, dit-elle à Marianne, permettez-moi de vous parler en amie. Certes, vos excellents parents vous diront la même chose ; mais on penche toujours à croire les conseils des parents intéressés ou surannés, tandis que venant d’une femme qui n’a que peu d’années de plus que vous, et que l’amitié seule peut porter à vous présenter ses observations, elles vous persuaderont peut-être davantage. Tout d’abord sachez bien que je vous admire sincèrement ; je ne suis pas de ces jalouses qui ne peuvent supporter les dons de l’esprit et de la beauté chez les autres femmes. Pour moi, ils me gagnent le cœur au contraire. Eh ! bon Dieu, si l’on tient à être admirée, il y a assez d’hommes pour cela ! Je vous admire donc et je vous aime, et, bien qu’en votre qualité d’héritière, vous puissiez vous permettre beaucoup d’excentricité, je n’en souffre pas moins de vous voir donner prise à la critique dans un monde qu’à tous les points de vue vous devriez dominer. Mais pour le dominer il faut le connaître, et cette connaissance-là, ajouta-t-elle en regardant Marianne avec un fin sourire, vous n’en avez pas le premier mot.

— Je l’avoue, madame, dit la jeune fille mais, quant à le dominer, je n’y tiens nullement, je vous l’assure.

— Et vous croyez n’avoir pas intérêt à le connaître, ne fût-ce que pour votre propre sécurité ?

— Pour cela, oui sans doute.

— Eh bien ! vous avez déjà deviné, chère mademoiselle, que je veux parler de l’exécution que vous venez de faire tout à l’heure, avec une inflexibilité digne de nos plus vieux conseillers et une grâce qu’ils n’ont jamais eue. Cela m’a fait de la peine, un peu pour le coupable et beaucoup… pour vous. Jo me suis demandé combien d’effroyables déceptions vous attendent, vous si pure, si sévère, si ignorante, que vous croyez M. Turquois un monstre parmi les autres hommes. Mais, ma chère enfant, il a fait hier ce qu’un autre fait en ce moment, ce que d’autres feront demain. Chaque homme, jusqu’au jour de son mariage bien souvent après est une sorte de Minotaure qui dévore le plus grand nombre possible de jeunes filles… ou de jeunes femmes. Le mariage n’étant pas plus sacré pour eux, ils ne s’en cachent pas ; ils s’en vantent, ils en rient : c’est un lieu commun. Je m’étonne que vous ayez ouvert un livre sans y voir des allusions — que vous n’aurez sans doute pas comprises — à ces dérèglements de jeunesse, si bien accep-