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mon cher Pierre, qui vous êtes sérieusement exposé.

— Bah ! je n’ai eu que les cheveux roussis et quelques écorchures, qui heureusement ne m’empêchent pas d’écrire.

— En effet, vous avez fait couper vos cheveux ; c’est pourquoi, au premier abord, je ne vous remettais pas. Mais cela vous va très-bien.

Pierre rougit de nouveau sur ce compliment.

— Mais, continua le jeune Brou, si vous avez perdu vos cheveux, en revanche vous avez gagné de figurer avec grand honneur dans les colonnes de l’Écho pictorien.

— On m’a montré cela. C’est pitoyable ! Et J’en suis en colère : Comment ! on ne peut pas monter sur un toit sans tomber sous la prose de ces gens-là ?

— Mais, monsieur, dit alors Marianne, ils vous ont rendu justice.

— Oh ! mademoiselle, pardon, c’est une chose ; la justice, qui n’est pas de leur compétence. Ils ont mis mon nom dans de sottes phrases à effet, ils ont boursouflé une chose toute simple, ils m’ont fait danser au bout de leurs ficelles. Je n’aime pas cela. Est-ce qu’une bonne action a besoin de compliments ? Faut-il avoir le désagrément d’être hissé sur un tréteau, et barbouillé de noir et de blanc, parce qu’on a eu la joie d’être utile ? Ce serait à en dégouter… si c’était possible.

— Mais, dit encore la jeune fille, il faut pourtant faire connaitre les belles actions : cela élève les âmes.

— Alors qu’on taise au moins les noms, reprit le jeune homme. Vous ne sauriez croire comme cela gâte la joie qu’on éprouve… car enfin c’est un grand bonheur, je ne le cache pas, d’avoir arraché une créature à la mort. Vous avez dû sentir cela, vous aussi, Albert ?

En achevant ces mots, la voix de Pierre s’altéra un peu, et ses traits exprimaient une émotion si noble et si élevée, que Marianne en ressentit pour lui une sympathie soudaine. Déjà elle l’avait considéré avec autant d’intérêt que de curiosité, et le trouvait un peu étrange, mais d’une étrangeté qui lui plaisait. Il n’avait rien de la tournure et des manières des jeunes gens de la bourgeoisie qu’elle avait vus jusque-là ; il était grand, brun de cheveux et un peu de visage, avec une barbe déjà développée, bien qu’il ne semblât guère plus âgé qu’Albert. Ses traits étaient peu délicats, presque rudes, et pourtant cette figure avait une expression extraordinaire de bonté, de franchise et d’idéalisme. Cela tenait sans doute à l’ampleur de son front, qui occupait presque la moitié de son visage, ou bien à l’expansion au sourire qui ouvrait ses lèvres sur deux belles rangées de dents blanches.

Pierre Démier n’était pas irréprochablement habillé, la coupe et la couleur de ses vêtements sentaient la petite boutique ; il n’avait nullement l’élégance mondaine. Pourtant il ne manquait pas d’une bonne grâce particulière, celle de la force d’abord, puis du naturel, et une aisance qui résultait précisément de son insouci de la mode et des conventions, chose presque rare chez les artisans que chez les bourgeois.

— Après ça, mon cher, dit Albert en continuant le même sujet, ce que nous avons fait n’était qu’une petite comédie de liberté, vous savez, et sans la Providence…

Pierre haussa les épaules.

— Sûrement, dit-il ; mais alors pourquoi ont-ils des pompes ?

— C’est une simple impiété. La Providence n’avait qu’à éteindre. Mais, à propos, pourquoi faisait-elle flamber ?

Il se mit à rire.

— C’est bien ridicule, reprit Pierre ; mais quand on pense que tout un département, — il n’y a pas mille têtes à excepter, — lit ces sottises sans la moindre objection, que cela s’imprime depuis des siècles et s’imprimera peut-être… (il devint rêveur) combien de temps encore ?… C’est triste, allez !

Marianne entendait ces choses pour la première fois, et, toute saisie de la nouveauté, réfléchissait.

— Nous vous scandalisons peut-être, chère cousine ? lui dit Albert.

Avant qu’elle eût pu répondre :

— Oh ! je ne crois pas ! s’écria Pierre.

Étonnée, elle le regarda.

— Non, dit-elle, j’y pense.

Il s’inclina doucement, sans ajouter un seul mot.

— Mais nous discutons là debout, dit Albert ; n’entrez-vous pas, mon cher Pierre ?

— Non, merci.

— Comment ? Vous veniez me voir…

— Pardon, je venais seulement demander de vos nouvelles ; on m’attend à la maison.

Il salua de suite et partit.

Quand il fut de l’autre côté de la grille :

— Cette nature-là me plaît, dit Marianne.

— Oui, répondit Albert ; c’est dommage qu’il ne soit que le fils d’un charpentier. Mais sûrement il se fera sa place.

Il prenait la main de Marianne pour la ramener dans l’intérieur de la chambre, quand il vit sa mère.

— Marianne, dit celle-ci, permettez-moi de vous faire une observation : si c’eût été un jeune homme de notre rang, vous auriez dû vous retirer de la fenêtre. Une jeune fille ne doit causer avec un jeune homme qu’en présence de ses parents. Pour celui-ci, cela n’a