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plus fort de nous tous. Tu as des préjugés, ma pauvre maman !…

En ce moment, les yeux de Mme Brou, déjà très-contrariée de toutes ces choses, tombèrent sur Marianne, qui semblait écouter attentivement, et tout aussitôt son visage animé s’enflamma davantage. Se tournant brusquement vers Emmeline :

— Comment se fait-il, mademoiselle, que vous vous permettiez de lire les faits-divers, quand cela vous est défendu ?

— Mon Dieu ! maman, répondit la jeune fille, saisie de cette brusque interpellation, c’est que je voulais voir qui prêchait à Saint-Pierre, voilà tout, et…

— Un sermon et un incendie, ça n’est pourtant pas la même chose, il me semble ?

— Non ; mais, après le sermon, j’ai vu l’incendie, et alors j’ai voulu lire, parce que je pensais qu’on faisait l’éloge d’Albert.

— Pas du tout, c’est l’éloge de M. Pierre, fils du charpentier d’à côté. Je ne l’aurais pourtant pas cru de l’Écho pictorien, qui est un journal de bons principes.

— Ne lui en veux pas, maman, dit Albert, qui avait pris le journal, il y a tant d’autres bonnes choses ; tiens, rien que deux miracles pour aujourd’hui : l’un à Sainte-Radégonde, l’autre à la campagne. Et puis des tirades bien senties contre les incrédules et les républicains. Ne la gronde pas, va.

— Toi, tu ris de tout, dit Mme Brou, trop en colère pour goûter cette fois les facéties de son fils.

Et elle s’en alla à la cuisine sans doute pour exhaler sa mauvaise humeur aux dépens des bonnes. Emmeline ne tarda pas à s’absenter également, les deux amants restérent seuls. Ce fut Marianne qui s’approcha la première en prenant la main d’Albert.

— Moi aussi, je suis mécontente, dit-elle.

Cependant elle souriait.

— Vous aussi, Marianne ? Oh ! alors, si j’avais su, je me serais tout bonnement jeté dans le brasier.

— Méchant… je suis mécontente d’un mot que vous avez dit en me regardant : qu’on vous aimerait peut-être davantage, si votre courage eût mieux éclaté.

— Ah ! Marianne ! c’est bien vrai ? Vous ne m’en voulez pas d’être au-dessous du récit que vous à fait mon père ? Ma mère m’en veut bien, elle.

— Pas moi.

— Oh ! Vous, vous, Marianne ! C’est que vous êtes la divinité du beau et du bien. Vous êtes si bonne ! Mon Dieu ! que ferai-je pour être en effet un héros, c’est-à-dire un homme digne de vous ? Ah ! oui, je regrette bien de n’être pas monté le premier, de n’avoir pas atteint la lucarne plus tôt que Pierre !… Mais une autre fois…

— Vous avez été sincère, cher Albert ; vous n’avez point cherché à vous parer d’un héroïsme qui cependant était dans votre pensée, et je vous aime mieux ainsi, Que cela est triste de faire d’un dévouement une vanité !…

Il la regardait avec ivresse parler ainsi de son air doux et pensif, en baissant les paupières sous les regards enthousiastes qu’il attachait sur elle, mais sans pouvoir cacher les flammes pures de son œil noir et l’incarnat croissant de sa joue. Il tenait dans les siennes les deux mains de Marianne et les baisait alternativement.

— Oh ! c’est assez, disait-elle à demi-voix en cherchant à retirer ses mains.

— Est-ce que je vous fâche, Marianne ? Ah ! si vous saviez… quel bonheur !…

— Oh ! alors, dit-elle naïvement, en lui abandonnant ses mains.

Pourtant, l’instant d’après, elle les retirait encore, impressionnée, confuse de ces baisers brûlants, et ne sachant qu’invoquer dans son trouble, le monde extérieur revint. à sa pensée.

— Ah ! si l’on venait ! Laissez-moi !

Il la laissa, et tout de suite elle courut à la fenêtre à demi ouverte, et mit sa tête dans ses mains.

— Que cela est grand et doux, l’amour ? pensait-elle. Pourquoi suis-je émue ainsi ?

L’air, embaumé par les parfums des lilas, des glycines et des marronniers, caressait ses joues brûlantes, et lui infusait dans, sa tiède haleine toutes les harmonies du printemps. Au bout d’un instant de rêverie, Marianne releva son front sérieux, et regardant fixement Albert, qui l’avait suivie :

— Si je croyais, dit-elle, que nous ne dussions pas nous aimer toujours, je préférerais mourir.

Il répondit par d’enthousiastes serments.

Les fenêtres de la salle à manger donnaient sur la rue, en face de la grille à demi ouverte. Une personne parut et pénétra dans le jardin en se dirigeant vers la porte de la maison. C’était un jeune homme qui portait un cahier roulé sous le bras.

— Eh ! c’est Pierre ! s’écria Albert.

En même temps, il poussa la persienne à demi fermée. Le jeune homme s’approcha et échangea une poignée de main avec Albert, et rougit légèrement en saluant Marianne,

— J’ai appris à l’école que vous étiez malade par suite de l’affaire d’hier, dit-il à Albert, et je venais demander de vos nouvelles. Je vois avec plaisir que vous n’êtes pas alité.

— Je n’ai véritablement aucun mal, répondit Albert ; ce n’est qu’une excessive prudence de mon père qui me retient à la maison. Moi aussi, je m’inquiétais de vous, et avec plus de raison ; car c’est vous seul,