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Alors une voix légère, douce et pure, s’éleva, qui remplit tout l’espace d’ondes claires, lumineuses et ruisselantes : c’était le rossignol qui chantait ses amours. Émue comme s’il lui parlait à elle-même, la jeune fille écouta ; puis elle alla s’accouder à sa fenêtre pour entendre mieux. Elle se disait : C’est l’amour qui inspiré à ce petit oiseau sa mélodie. Que de beaux accents n’a-t-il pas inspirés à l’homme aussi ! Et, à défaut de chant, que de mélodies inédites dans l’âme, révélées par le regard ! Ohl out, c’est une grande chose que l’amour : c’est la poésie du monde !

Les étoiles resplendissaient ; il semblait à Marianne qu’elles la regardaient et lui disaient : Aime, pauvre enfant ! l’amour est la grandeur infinie qui dépasse l’espace et le temps ; aucun être sans lui n’a connu la vie. Dans l’herbe, les vers luisants jetaient leurs feux d’amour, et les fleurs, secouant leur pollen et leurs parfums, confiaient au vent leurs caresses. Jamais la jeune fille n’avait mieux senti la nature, ne l’avait trouvée si grande et si belle. Elle-même se sentit plus forte, plus compréhensive, meilleure, et comme sacrée par une religion nouvelle ; elle venait de vouer sa vie, de faire un serment : son enfance était finie, elle devenait membre actif de l’humanité ! Cela l’émut d’attendrissement et de fierté, et, reconnaissante envers celui qui l’avait initiée à cette nouvelle vie, elle murmura : Oui, je t’aime, cher Albert !

À partir de ce moment, ils vécurent délicieusement des joies de leur amour, que, d’un commun accord, ils gardèrent secrètes. La surveillance peu gênante de Mme Brou leur laissait toujours de temps en temps quelque tête-à-tête ; en présence des autres, un regard, un mot, leur suffisaient pour se répéter qu’ils s’aimaient, qu’ils étaient heureux.

Afin d’être plus libre de voir Marianne, Albert, dès le lendemain, malgré l’ordonnance paternelle, quitta sa chambre, jura qu’il n’était pas malade, qu’il mourait d’appétit, et se mit à table. Mais il ne put manger, son bonheur l’étouffait.

— Tu vois bien que tu es malade ! s’écria le docteur irrité.

Il trouvait que son fils gâtait une situation superbe ; cependant, aux rayons qui transperçaient les paupières d’Albert, malgré lui, à l’air absorbé, doucement rêveur de Marianne, il comprit qu’on pouvait se passer de ses ordonnances et se borna à recommander qu’Albert ne quittât point la maison. C’était le meilleur moyen d’être obéi. Albert n’avait nulle envie de courir le monde. Assis dans la salle à manger, près de Marianne, causant avec elle et la regardant sans cesse, ayant mille prétextes de toucher sa main d’effleurer ses cheveux, il eût accepté de passer là sa vie. Seul avec elle, pendant les fréquentes absences de sa mère et de sa sœur, à peine osait-il davantage. Il l’adorait pieusement, il ne pouvait comprendre encore son bonheur.

— Suis-je digne de vous ? lui disait-il avec l’humilité charmante de l’amour. Non, mais je tacherai de le devenir. Et il se sentait des forces nouvelles, portées avec puissance vers le beau et le bien ; tout son être palpitait de sentiments généreux, il ne se reconnaissait plus et lui disait avec candeur : « Vous avez fait de moi un autre homme ! » Il versait son cœur devant elle, il était plein d’élans naïfs ; jeune, ardent, sincère, et Marianne, de plus en plus heureuse et confiante, jouissait du bonheur de l’admirer en l’aimant.

Le lendemain de l’incendie, comme ils étaient réunis tous les quatre dans la salle à manger, Emmeline, ayant ouvert l’Écho pictorien, s’écria :

— Oh ! par exemple, voilà comment on raconte les choses ! Mais c’est indigne !

— Qu’est-ce donc ?

— C’est l’incendie. Je ne sais pas qui a écrit cela. On n’y parle que de M. Pierre Démier, et c’est à peine s’ils ont mis le nom d’Albert.

— Est-il possible ? s’écria Mme Brou ; il faut que ce rédacteur soit imbécile !

— Mais, dit Albert…

Il se tut. Emmeline avait commencé de lire :

« Hier un violent incendie a éclaté dans la rue de la Tranchée, au sein de ces bicoques habitées par des indigents dont on connait l’imprévoyance, le désordre et l’imprudence. Allumé sans doute par quelque ivrogne ou par quelque petit polisson jouant avec des allumettes, l’incendie s’est rapidement propagé dans ces misérables demeures, la plupart en bois vermoulu, et l’on a pu craindre un instant pour la belle maison neuve de MM. Frémond, qu’on est heureusement parvenu à préserver. Quelques personnes de la classe ouvrière ont reçu des brulures en cherchant à sauver leur misérable mobilier ; mais aucune perte de vie n’est à déplorer, grâce à la courageuse initiative de quelques-uns de nos concitoyens. Une vieille femme, oubliée dans un grenier, poussait à sa lucarne des cris déchirants ; mais la maison où elle se trouvait, envahie de tous côtés par les flammes, menaçait ruine. M. Pierre Démier, un de nos plus brillants élèves en médecine, s’empare d’une échelle et, malgré les représentations qui lui sont adressées, l’applique au mur brûlant et monte. Cet exemple intrépide est bientôt suivi : trois autres jeunes gens s’élancent après lui, parmi lesquels