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réveil de l’être ; elle est la vraie jeunesse en qui tout aspire et monte et que rien n’a flétri. Belle de tous les charmes de la nature, elle a de plus l’âme qui se connait et parle ! et c’est pour arriver à vivre et à s’épanouir dans le sang de ses veines, dans les rayons de ses yeux, dans la volupté de sa bouche, dans la pudeur de son front, dans la moelle de ses pensées, que la terre gonfle son sein, que les germes croissent, que la lumière brille, que la séve monte et descend, que la brise s’exhale, que la végétation couvre le sol, que l’animal suit le rêve de sa vie. En elle, tu trouveras bien plus que le plaisir : tu trouveras la vie même dans son expression la plus complète, la grande vie dans son infini.

Ces voix, ces influences avaient pénétré Albert ; il s’était ému d’une vie nouvelle, Tout ce qui dormait en lui de jeunesse et d’idéal s’était réveillé ; il était devenu bon et attendri. Lui, que les gâteries de sa mère avalent rendu égoïste, des élans le prenaient parfois qui le rapprochaient du dévouement. Il comprenait qu’on peut donner son sang, son argent, son plaisir même, avec une joie supérieure, et plus d’une fois il lui arriva de désirer pareille occasion, pourvu que ce fût en présence de Marianne. Il rêva des actes d’héroïsme, après lesquels il venait tomber mourant à ses pieds. À la vérité, la chose n’allait jamais plus loin, et il ressuscitait sous les baisers et les soins de son amante, pour une vie de gloire et d’amour.

Dans la discussion, Albert perdit le ton sec et affirmatif de l’écolier. Il ne récita plus les tirades qui ébahissaient d’orgueil sa mère ; on eût dit qu’il doutait maintenant de lui-même et n’imaginait plus que son premier devoir fut d’éblouir les gens. L’amour l’avait tiré de sa personnalité, il vivait dans une autre. Il voulait être aimé, et maintenant il entrevoyait les infinis de la science et de l’amour. Ses exigences habituelles avaient presque disparu, et sa mère, qui surtout les supportait et les choyait, ne le reconnaissait plus, de même que les bonnes, émerveillées de n’être plus grondées ou même injuriées par lui. Il n’était plus difficile que pour sa toilette, dont il prenait plus de soin, sans pour cela jeter ses pantalons à la tête de Louise, quand il ne les trouvait pas assez bien brossés.

— Pauvre cher enfant, quel trésor ! se disait Mme Brou. Notre pupille pourra dire qu’elle a trouvé chez nous le bonheur de sa vie !

Car elle ne doutait point que Marianne ne répondit à l’amour d’Albert. Et comment aurait-elle pu faire autrement ?

Albert n’avait pas cette confiance, et c’est là justement peut-être ce qui le rendait si charmant. Après le premier moment de douleur et d’irritation, quand il avait reconnu que sa présomption l’avait trompé, que les rougeurs de Marianne n’étaient que l’effet de son impressionnabilité de jeune fille, qu’elle n’avait pas cet ardent besoin de lui qu’il avait d’elle, alors, ne pouvant autrement faire, il était devenu triste et soumis. Déjà fort amoureux, il l’avait été bien davantage. Il est peu de jugements humains qui n’aient besoin de la difficulté pour se prouver à eux-mêmes l’excellence de la conquête, Marianne indifférente lui avait paru plus désirable encore. Oui, maintenant il était tout à elle, sans réserve ; il l’adorait, il n’avait plus au monde d’autre ambition. Il n’existait plus d’autre ravissement que de la voir, de la suivre, de l’entendre ! Plus d’autre malaise que d’en être loin, plus d’autre malheur que de n’en pas être aimé.

Sur cette attente, ses jours étaient pleins de joies et de craintes, la jeune fille, sans aucune coquetterie, lui dispensant alternativement de charmantes affections et des réserves menaçantes. Elle rougissait, se troublait, quand, dans le tête-à-tête, l’amour silencieux d’Albert se traduisait par mille indices ; mais elle se refusait en même temps à l’entendre, à le seconder. Elle était émue, touchée, mais ne s’abandonnait pas, On eût dit qu’elle se retirait, comme un enfant qui a peur. Par moments, triste, en d’autres, rêveuse. Quelquefois il croyait la voir s’élancer vers lui ; puis un geste, un mot, le glaçaient. Et pourtant il n’osait plus l’accuser. Les expressions de la physionomie de Marianne étaient si naïves, si involontaires, qu’on y lisait toutes ses impressions intérieures. Il fallait la croire sincère, même en renonçant à la comprendre. Trop amoureux pour oser brusquer une explication, Albert attendait le mot de l’énigme en espérant et désespérant.

Mme Brou trouvait que cela traînait un peu. Emmeline regardait à la dérobée, en curieuse qui ne sait pas. Le docteur, dont l’observation, bien que fine, n’allait guère au delà du phénomène physique, souriait et se frottait les mains.

— C’est la lutte d’une enfant timide entre la nature et la pudeur. Eh !… l’on sait comment cela finit, se disait-il à lui-même.

Marianne, elle, s’accusait d’inconséquence et de sécheresse de cœur.

— Quoi ! se disait-elle, n’aimé-je pas Albert, puisqu’à le voir troublé devant moi, je suis troublée moi-même ? puisque je me sens doucement émue d’être l’objet de cet amour ? puisqu’il m’attire et me plaît ? Oui, cela est beau d’être aimé, cela est beau et touchant de voir sur un visage fleurir tant de belles choses : la bonté, l’amour, l’enthousiasme,