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— Alors dites-moi que vous ne l’êtes pas.

— Je vous le dirai si vous voulez.

— Mais je ne demande que la vérité.

— Oh ! dit le jeune homme d’une voix altérée, la vérité est si difficile à dire… comme à savoir.

— Comment ! n’est-ce pas là le plus simple ?

— Vous croyez, reprit Albert avec un amer sourire. C’est tout le contraire. La vérité est partout et nulle part ; elle n’existe pas à l’état simple. Il faut des centaines d’années pour en arracher un atôme des entrailles de l’être universel, et encore n’est-on jamais sûr que la démonstration ainsi faite ne sera pas renversée par une démonstration nouvelle. Nous savons que nous souffrons, quand la souffrance nous étreint de ses ongles : voilà le plus certain. Encore souffrons-nous quelquefois pour ce qui nous devrait être un sujet de joie, tandis que nous nous réjouissons pour ce qui devient plus tard une source de et de désespoirs…

Il continua sur ce ton poétique l’amplification de son idée, dans les nuages de laquelle flottait la figure barbue de son ancien professeur de philosophie, jointe à ses chagrins de la matinée, à l’image d’un rameau vert imprégné de soleil, qui flottait au vent… le cœur tout gonflé de séve printanière, il finit par déclarer la vie une chose stupide, amère, où, comme le dit le poëte, rien n’est bon que d’aimer ! n’est vrai que de souffrir !

— S’il est bon d’aimer, cela est vrai également, observa la jeune fille.

— Aimer, n’est-ce pas souffrir ? répondit-il.

Une larme vint mouiller les yeux de Marianne.

— Oui, quand on a perdu ceux qu’on aime, dit-elle.

— Pardon, ma cousine, de vous attrister ; je suis bien ennuyeux et je vous tiens là des discours désolants, au lieu de vous distraire.

— Je ne m’en plains pas, puisque vous êtes triste ; je voudrais pouvoir effacer votre chagrin.

— Vous, Marianne ? Oh ! non, je ne le veux pas…

— Quoi !

Elle resta interdite ; il reprit :

— Je veux le garder toujours !

— Mais… je ne comprends pas…

C’était le contraire, elle croyait comprendre et recommençait de trembler.

— Garder un chagrin volontairement, pourquoi ?…

Elle essaya de sourire et ne s’empêcher de rougir.

— Il y a des souffrances, dit Albert avec exaltation, qu’on ne changerait pas pour des bonheurs étrangers… Pardonnez-moi, Marianne. Vous me trouvez extraordinaire, je le vois ; oui, je le vois bien. Et moi aussi, depuis quelque temps, je ne suis vraiment plus le même ! Je… je ne savais qu’on pouvait être ainsi… Ce matin, je le sais, j’ai été vis-à-vis de vous injuste et inconvenant ; pardonnez-moi, chère… chère Marianne. Je ne suis pas toujours maître de mes impressions. Mais si vous saviez combien je vous… combien je ne voudrais pas vous fâcher !… Marianne ! m’en voulez-vous, dites ?

— Oh ! non.

Tous les deux, très-émus, s’étaient levés. Albert avança la main vers celle de Marianne, qui la lui donna. Il garda cette main dans la sienne en frémissant. C’était celle qui tenait la petite branche de lilas ; Il la prit doucement, et, d’un ton suppliant :

— Me permettez-vous ? dit-il.

— Oh ! elle est déjà si fanée.

Il ne répondit pas à cette objection et prit la fleur.

Marianne retira sa main. Ils se mirent à marcher à côté l’un de l’autre ; Albert contemplait Marianne à la dérobée. Puis ils s’entretinrent du soleil, qui était chaud, des plantes qui poussaient, des lézards qui traversaient l’allée ; et bientôt Marianne, oppressée, reprit le chemin de la maison.

— Vous rentrez déjà ? lui dit Albert d’un ton doux et triste.

— Oui, je vais étudier mon piano.

Il soupira sans répondre.

Marianne courut dans sa chambre, et, après avoir tourné la clef dans la serrure, elle se jeta sur sa causeuse, comme une personne écrasée. Elle voyait bien que son cousin l’aimait, elle n’en pouvait plus douter.

— Comme il est bon et triste ! se dit-elle.

Et frémissante elle se mit à pleurer.



IV

Oui, Albert était bon, et triste, et charmant, car il était amoureux. Et comment ne le fût-il pas devenu ? Tant d’influences combinées : la beauté, le charme de Marianne, leur intimité, la jeunesse, les incitations paternelles et maternelles, intenses quoique secrètes, suggérant l’idée, créant l’occasion, et constamment agissantes, ne fut-ce que par le désir. Jusqu’au printemps qui s’en mêlait, et, de sa brise molle et de ses enivrantes haleines, soufflait à l’oreille du jeune homme : Aime, aime Marianne ! Elle aussi est un printemps ; elle est fraiche et embaumée comme la fleur qui s’ouvre au matin ; elle est vierge comme tout ce qui sort du