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Albert naturellement assistait aux noces, de sa sœur, où il donnait le bras à Marianne. On se disait :

— L’autre mariage suivra bientôt ; les Brou ont une chance ! Le docteur est si intrigant !

Pourtant quelques propos circulèrent autour de Mme Touriot et de la préfecture.

— Il pouvait bien se faire que le jeune Brou ne fut pas chaussé comme il pensait, Cette Bretonne, fille de marin, avait un caractère extraordinaire. Certaines dettes, outre des galanteries, étaient venues à sa connaissance on ne sait comment ; elle avait pris la chose au sérieux, paraissait-il, et elle était fort têtue. M. Horace Fauque rodait autour d’elle et on le voyait toujours sur ses talons, à la promenade ou à l’église. On remarqua beaucoup aussi l’absence d’Albert pendant les vacances. Le père, disait-on, l’avait envoyé à Montpellier, chez un professeur en médecine de ses amis, afin d’y préparer, sans distraction d’aucune sorte, ses examens pour la rentrée. Après cela, se marierait-il ? ne se marierait-il pas ? Mme Turquois avait parié un nougat, contre Mme Prouquière trois douzaines de meringues, que la Bretonne n’était pas pour le fils Brou et lui passerait sous le nez.

Le docteur, en effet, aussitôt après le départ d’Emmeline, avait eu une explication avec son fils. Il lui avait reproché ses folies, ses dettes, ses légères amours ! Il avait pris le ton de l’indignation pour remontrer à Albert où son imprudence l’avait conduit : à la perte possible et même probable d’un mariage magnifique, par lequel un avenir brillant lui eût été assuré ; un mariage que les soins paternels lui avaient mis dans la main, qu’il ne s’agissait plus de tenir, et qu’il avait laissé échapper ! Le contraste fut vif entre la prévoyance habile de ce père et la coupable légèreté de ce fils. Heureusement la bonté paternelle n’était pas lasse, elle s’efforcerait de tout réparer ; mais il fallait suivre aveuglément ses conseils et que par une conduite désormais irréprochable et des études assidues, Albert secondât les efforts qu’on ferait pour lui.

Il faut convenir que certaines parties, certaines expressions de ce discours avaient été dures à entendre. Albert cependant ne quitta pas l’air soumis et attristé qu’il avait pris au commencement de l’entretien ; mais le ton humble de sa réplique fut singulièrement épicé par des allusions fort transparentes :

Il n’était, quant à lui, ni un don Juan ni un puritain ; son caractère était simple, ses goûts modestes. Il suivait tout bonnement les voies tracées. On lui avait dit, il avait su, que les plus honorables de ceux qui l’avaient précédé dans la carrière avaient eu à pareil âge leurs frasques et leurs faiblesses, — dont sans doute ils étaient parfaitement guéris, quelques méchants propos qu’on eût pu tenir à cet égard ; — mais enfin ils avaient fait des dettes plus considérables que les siennes, mis à mal plus d’innocentes ou lutté de folie avec plus de perverses ; ils avaient laissé le souvenir de plus d’orgies insensées, trépignantes, hurlantes, dont on parlait encore au quartier Latin ; et cela ne les avait pas empêchés de devenir plus tard les gens les plus respectables, les plus considérés.

Il ne pouvait donc avoir cru mal faire en suivant de loin ces exemples glorieux ; d’autant mieux que la sagesse paternelle ne lui avait interdit que le scandale, ne lui avait recommandé que la prudence… et l’économie. Il avait été prudent et modéré ; il n’avait fait que pour 8,000 francs de dettes, où d’autres en avaient fait 17,000, et la fortune sur laquelle il pouvait alors compter rendait ce chiffre de 8,000 francs tout à fait mesquin, une bagatelle. Si la fortune espérée échappait décidément, ce n’étaient pas ces 8,000 francs qui empêcheraient quelque autre mariage, moins avantageux peut-être, mais encore brillant ; car le fils du docteur Brou, soutenu par la réputation et l’honorabilité de son père, pouvait élever ses prétentions assez haut. Enfin Albert protesta de sa docilité à suivre les conseils et les plans paternels, quoique, ajouta-t-il, sans beaucoup d’espérance.

Tout ceci n’avait pas été débité sans interruption. Un instant, le rouge de la colère était monté au visage de M. Brou, et, sur une allusion nouvelle, il avait lancé un Monsieur !!! » très-retentissant et très-solennel. Ce n’était pas un argument. Cependant Albert, jugeant l’effet suffisant et n’osant le pousser plus loin, en était revenu aux propos flatteurs et aux protestations d’obéissance.

Le plan du docteur était de faire cesser au plutôt la situation d’attente, fausse et pleine de périls, où se trouvait Albert vis-à-vis de Marianne. Il fallait enlever le doctorat, se montrer repentant et désolé, et, les souvenirs du cœur aidant, et surtout peut-être le désagrément de rompre un mariage convenu depuis si longtemps et presque public : toutes ces considérations pouvaient, devaient même, selon le docteur, amener une réconciliation, d’autant plus sûrement que le docteur, pendant ce temps, agirait constamment sur l’esprit de sa pupille en vue de ce résultat.

Albert espérait moins ; il connaissait mieux Marianne et avait encore dans l’oreille la netteté écrasante de son refus, le jour de