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impossible ! Plus de deux années d’amour, de serments… un engagement sacré…

La jeune fille le regardait avec stupéfaction.

— C’est vous, s’écria-t-elle, c’est vous qui réclamez… Cet engagement… sacré en effet, qui l’a brisé ? qui s’en est moqué ? Cet amour, ces serments… Ah ! je m’étais promis de ne pas vous dire de choses amères. Vous quitter suffit. Mais il faut être par trop dépourvu de cœur et de pudeur pour ne pas sentir que de tels souvenirs ne sont plus pour moi que des insultes… oui, bien douloureuses à ma fierté ! Vous m’avez volé, monsieur, ce qu’il y a de plus cher et de plus respectable dans l’être. Les effusions les plus pures de mon âme se sont exhalées vers vous, l’amant d’une autre ! Les sources les plus vives de mon cœur vous ont été ouvertes, et vous les avez souillées ! Je vous croyais, je vous aimais, je vous disais tout ; vous me répondiez, et ce n’était qu’une comédie infâme ! Vous ne m’avez pas seulement trahie, vous m’avez humiliée, et peut-être découragée à jamais ! Quand j’y pense, j’ai besoin de beaucoup de force pour ne pas vous haïr. Ah ! vous ne comprenez pas cela !… Que vous m’avez fait de mal !… À vingt ans, vous me faites douter de tout, moi qui ai besoin de croire pour vivre. Non, je ne pourrai jamais vous par donner.

Sous de telles paroles, sous les éclairs d’indignation qui partaient de ces yeux mouillés de larmes, Albert un instant resta foudroyé, et le désespoir le prit à l’idée que cette belle et riche Marianne, sa conquête enviée, allait être perdue pour lui. Tout à la fois il pensa aux railleries dont il serait l’objet, aux avantages de luxe et d’importance qui lui échappaient, aux rares qualités de cette fiancée, qu’il n’avait jamais vue si belle, et l’amour, l’ambition, l’amour propre réunis lui causèrent un transport de passion tel, qu’il se traina aux genoux de Marianne en l’implorant dans les termes les plus vifs et les plus touchants. Cette fois, il était sincère : il eût été difficile d’en douter, à son trouble, au désordre de ses paroles, aux larmes qui mouillaient ses yeux.

— L’expiation la plus cruelle, Marianne, des années d’épreuve, s’il le faut, tout ! Je le sais, J’ai tout mérité. Mais ne m’ôtez pas l’espoir. Êtes-vous implacable ? Pouvez-vous rester insensible au désespoir de celui que vous avez tant aimé. Relevez-moi, rendez-moi digne de vous. Avez-vous pensé aux dangers qui m’entouraient ? Les pouviez-vous apprécier seule ment ? Soyez juste. Quand je suis arrivé à Paris, plein de vous seule, tout à notre amour, j’ai trouvé chez les autres la raillerie, le spectacle constant de leurs mœurs. Et qui blâme cela ? Personne. Tout le monde l’accepte ; les hommes graves, les mères de famille, cette Mme Milhau qui trouve maintenant étrange que son mari soit ce qu’il était. J’aurais dû résister, je le sais ; une femme telle que vous doit être méritée. Mais j’ai été faible. J’en ai souffert ; je me maudissais, je rougissais devant vous. Est-il donc impossible de se racheter, Marianne ? Vous qui ne croyez pas à l’enfer, n’y a-t-il pas de pardon dans votre cœur ? On ne se console pas de vous avoir perdue. Mieux vaudrait me condamner à mort !

Elle était émue de pitié ; ses mains tremblaient, des larmes coulaient sur ses joues.

— Albert, épargnons-nous… écoutez-moi…

— Vous pleurez ! s’écria-t-il en essayant de prendre ses mains ; vous pleurez ! Oh ! merci, Marianne ; je savais bien que vous ne pouviez pas être sans pitié pour moi !

— Sans doute je souffre, et cruellement.

— Et moi donc ? Ah ! Marianne, il n’y a que douleur, vous le voyez bien, hors de l’amour.

— Albert, je ne puis vous tromper, même par pitié. Oui, cet amour arraché laisse une plaie profonde, mais il ne peut plus revivre, et je le voudrais même, Albert, entendez-vous ? je le voudrais, que ce serait impossible ; tout ce qu’il y a en moi de plus intime s’y opposerait. Vous êtes l’amant d’une autre femme, vous ne pouvez plus être le mien.

— Marianne, s’écria-t-il, c’est là une exagération de votre délicatesse, que tout le monde traiterait de folie. Mais regardez un peu la vie, interrogez, ouvrez les yeux… nul ne comprendra…

— Je comprends, moi, je sens, et cela suffit, puisqu’il s’agit de moi-même. Cependant, s’il vous faut une autre raison, je la donnerai ; car ce qu’il y aurait, il me semble, de plus cruel serait de vous laisser un espoir inutile. Il y a une chose, Albert, qui est l’âme, la racine même de l’amour, et que vous avez arrachée de moi, c’est la confiance. Je puis, comme parent, vous aimer encore ; me donner à vous, jamais ! Je ne vous crois plus.

À cette déclaration si nette, il pâlit et resta de pierre. Elle-même rougit d’émotion d’avoir frappé un tel coup, et reprit d’une voix douce en s’approchant de lui :

— Pardonnez-moi ; J’ai cru devoir en finir sur ce point. Mes ressentiments et mes paroles sont trop vifs peut-être ; mais, je vous l’ai dit, moi aussi, je souffre beaucoup… Pardonnons-nous réciproquement, Albert, et gardons entre nous l’amitié de famille. Je voudrais que vous me permissiez de vous donner les conseils d’une sœur. Vous vous accusez seulement vis-à-vis de moi ; mais vous avez été plus coupable encore peut-être