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prise, Albert, au contraire, était violemment agité. Il ne savait évidemment ce qu’il devait attendre, et ses pensées oscillaient entre la crainte et l’espoir. Mais, par-dessus tout, la honte l’écrasait devant celle dont il avait trahi l’amour et tant de fois trompé la confiance. Le sentiment profond qu’il avait de la chasteté et de la loyauté de Marianne lui faisait comprendre en ce moment, pour la première fois, sa propre bassesse, par cela seul qu’il n’était plus couvert, comme autrefois, par le voile de ses mensonges et se voyait à nu devant elle. Son regard était fiévreux, ses joues pâlissaient et rougissaient tour à tour ; il baissait le front, et la brusquerie, aussi bien que la gène de ses mouvements, décelait un état nerveux et fébrile.

Arrivé le premier, il se leva vivement à l’aspect de Marianne et la salua sans oser lui toucher la main. La phrase qu’il avait méditée lui échappa ; il s’empressa en silence de la faire asseoir, et ne s’assit auprès d’elle qu’après l’invitation qu’elle fit en lui montrant un fauteuil assez éloigné du sien et qu’il n’osa rapprocher.

Il ne l’avait jamais vue mise avec tant de simplicité, on eût dit qu’elle s’était exprès négligée : un peignoir de toile grise, attaché seulement au cou par une cravate de mousseline ; les cheveux sans ornement, liés d’un ruban noir. Mais qu’avaient-ils besoin d’ornements, ces admirables cheveux blonds, qui, sans aucun souci de sévérité quant à eux, jouaient, folletaient sur son front et se roulaient par derrière en boucles, d’autant plus charmantes que chacune d’elles s’était arrangée à son gré ? Le peignoir avait beau dissimuler les inflexions de la taille, il n’en marquait pas moins la courbe pure des épaules et le plan ferme et élevé de la poitrine ; il fallait bien que ces belles mains et ce poignet délicat sortissent des manches, et parussent d’autant plus gracieuses que la manche elle-même était droite et fruste. D’un regard furtif, Albert considérait aussi les traits fins et expressifs de ce visage, empreints d’une sévérité à la fois triste et candide, qui leur donnait un nouveau charme, et, en ce moment où il craignait de la perdre, il la trouvait plus belle, plus désirable que jamais, et la pensée qu’elle pouvait lui être ravie lui inspirait une colère, une peur immenses. Non, non, il n’y consentirait pas ! Mais qu’allait-il faire désormais pour la reprendre ? Mentir n’était plus possible. Eh bien ! il l’aimait, il la voulait ; il crierait sa douleur, implorerait son pardon et triompherait cette fois à force d’éloquence sincère.

Il se dit tout cela en un instant, jeta à la mer tout ce bagage de détours, de faux-fuyants, de mensonges, qui l’avait si mal servi, et résolut de s’en fier pour la première fois à la vérité même, aveuglément. C’était hardi, c’était désespéré ; mais, en réalité, n’y avait pas autre chose à faire. L’amour-propre en devait souffrir ; mais, pourvu que l’amour fût sauvé, tant pis !

Il se laissa donc aller tout naïvement, tout bêtement, eut-il dit ; et, comme il était embarrassé, garda le silence. La jeune fille n’était pas non plus sans embarras ; elle souffrait, elle aussi, d’une honte : cette honte généreuse qu’éprouvent devant un coupable convaincu, ceux qui respectent la nature humaine. Elle aussi détournait ses yeux de ceux d’Albert.

Enfin, raffermissant sa voix, elle dit :

— Albert, j’ai beaucoup souffert à cause de vous…

Il l’interrompit en joignant les mains :

— Ah ! Marianne !…

— Il y a longtemps que je sentais, sans savoir… et cependant avec beaucoup de souffrance… que vous ne m’aimiez plus…

Albert fit un bond :

— Que je ne vous aimais plus, Marianne ! Ceci est un blasphème, je n’ai jamais cessé de vous adorer.

La jeune fille détourna la tête avec une pénible confusion :

— Par respect pour vous et pour moi-même, dit-elle, ne me parlez plus ainsi ! Me croyez-vous donc aveugle et sourde, Albert ? Il n’y a plus que votre mère que vos paroles puissent… J’ai été longtemps sans doute à comprendre ; mais enfin ma conviction est faite, et plus rien, je vous l’assure, ne peut l’ébranler.

— Ah ! Marianne, reprit-il, plus confus que jamais et attendri malgré lui-même par cette sublime ignorance de l’infamie, je ne cherche plus à nier mes crimes ; vous les connaissez, je le sais. Et pourtant, si j’ai été léger, perfide, infidèle, hélas ! il n’en est pas moins vrai que je n’ai jamais cessé de vous aimer, de vous regarder comme la seule et unique femme avec laquelle je puisse goûter l’amour vrai, le vrai bonheur !

Dans ses yeux candides, qu’elle tenait fixés devant elle, il vit passer l’étonnement et une épouvante mêlée d’incrédulité.

— Je ne puis vous comprendre, reprit-elle après un silence, mais laissons ce point. Je voulais seulement vous dire que j’avais beaucoup souffert par vous, et si vous n’admettez pas que j’ai quelque droit à vous demander une réparation ?

— Oh oui, répondit-il, ne vous donnez pas la peine de me faire des questions semblables. Vous avez tous les droits sur moi, tous !

Non, reprit Marianne, je ne réclame que celui-là ; mais je crois que c’est justice. Eh