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contré un jour au bal Bullier, et qui était l’amant actuel de Marie, c’est de ne pas se chagriner du tout. Se chagriner pour une maîtresse ou pour un amant, quelle bétise ! n’est-ce pas, Carline ? demanda-t-il à la petite blonde qui était en face de lui et qui, maintenant accolée à une sorte de rapin aux longs cheveux, avait été la maîtresse de Mérut autrefois.

— Tu as raison, lui répondit-elle.

— Bravo ! Carline, c’est ça. Carline est non, la Pandore du quartier latin. Remercie-moi, Carline, bien que tu ne saches pas la mythologie. C’est moi qui l’ai stylée, elle a un bon petit caractère ; faute d’opinion personnelle, elle trouve toujours bien tout ce qu’on dit.

— Ah ça ! Marina, qu’attendons-nous ici demanda tout à coup l’homme au chapeau en arrière, qui se tenait à demi courbé sur une table. Il n’y a pas d’absinthe à ce café. C’est embarlificotant, c’est bête !

— Un peu de patience, Miletin. J’ai donné rendez-vous ici à Pommerin, il ne peut tarder à venir.

— Comment, Marina, c’est-il possible que vous ne puissiez pas vous passer de Pommerin ? observa l’amant de Carline, surnommé le Chevelu.

— Oui, mon fils, quand j’ai besoin de lui. Et pour le moment, j’en ai besoin : il fait de la police pour mon compte.

— Oh ! oh ! Marina, vous prenez des manières de gouvernement.

— Pourquoi pas ? Crois-tu qu’à la tête d’un État, je ne me conduirais pas tout aussi proprement qu’une autre ? C’est la place qui fait tout, le bien et le mal comme le reste, et surtout la réputation. Je méprise bien assez les hommes pour pouvoir les gouverner, va ! Mais quant à vouloir en prendre la peine, c’est différent.

— Tu n’es pas digne d’être reine, dit Miletin, laisses tes sujets manquer d’absinthe.

— Tu en auras au dîner… à condition que tu me donneras la réplique.

— Sois tranquille, on te la donnera comme il faut ; mais où est-il le dîner ?

— C’est Pommerin qui nous le dira.

Pendant cette conversation, M. Albin, assis près de Fauvette, s’épuisait en efforts discrets pour vaincre sa tristesse et sa froideur. Elle y répondait avec distraction, toute absorbée en ses secrètes inquiétudes, quand une femme, qui depuis un moment rôdait autour du café, s’arrêta près d’eux en s’écriant :

— Eh ! c’est vous, ma chère Fauvette ?

— Ah ! vous voilà, Florentine ? répondit la jeune fille.

Et, toujours compatissante au milieu de ses plus grands chagrins, elle offrit une chaise à la vieille étudiante, chose qui parut fort scandaliser M. Albin. Celui-ci était un clerc d’avoué fleuri, prétentieux, bien mis, ayant fleur à la boutonnière. Il regardait, avec un mélange d’étonnement et de dédain, cette toilette composée d’étoffes surannées et d’oripeaux flétris, qui faisait penser tantôt à l’actrice de bas étage et tantôt à la mendiante ce visage plâtré, couronné de cheveux d’un noir rougissant, et cette taille décharnée, horriblement découverte par un corsage largement échancré sur les épaules et fendu par devant jusqu’à la ceinture.

— Cette jolie Fauvette a de drôles de connaissances, semblait-il dire.

La jeune fille ne tint compte de ses dispositions.

— Offrez-lui quelque chose, je vous en prie, dit-elle en se penchant à l’oreille du clerc.

C’était la première chose qu’elle lui demandait. Il s’empressa d’y satisfaire et fit apporter, à l’instigation de Fauvette, un vin chaud et quelques biscuits. Tandis que Florentine se jetait avec avidité sur ce réconfortant, les propos excités par sa présence allaient leur train.

— Toujours jeune et toujours belle, Florentine !

— Florentine, avez-vous fait quelque conquête aujourd’hui ?

— Oui, moqueurs que vous êtes.

C’était à Mérut et à Miletin qu’elle s’adressait, les seuls qui parussent la connaître. Quant à Marina, elle avait fait à peine à la nouvelle venue un signe léger, salut de souveraine.

— Oui, moqueurs, j’en ai fait une ; seulement je n’en ai pas voulu, parce qu’il était trop grossier. Les hommes ne sont plus polis aujourd’hui.

Sur ce, la pauvre Florentine fut assaillie de questions grivoises, auxquelles elle se contenta de répondre par des haussements d’épaules, tout en dévorant ses biscuits.

— Ça fait que Miletin n’est plus dépareillé, observa le chevelu, qui reçut en réponse le chapeau de Miletin en pleine figure.

— Respect à Nestor ! demanda Mérut.

Florentine buvait et mangeait, sans paraître rien entendre, et Fauvette riait en lui parlant.

— Pommerin ! voici Pommerin ! cria Miletin. Vive Pommerin ! vive l’absinthe !

Pommerin était un jeune commis de magasin, de vingt ans à peine, à la mine éveillée, et qui, en s’approchant de Marina, prit des allures non équivoques de soupirant ivre d’espérance. Avec une désinvolture pleine de satisfactions amoureuses et vaniteuses, il s’appuya sur le dossier de la chaise