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et jusqu’à leur vie souvent : tout cela à force de quémanderies, de lâchetés, de mensonges !…

— Misérable fille, te tairas-tu ? s’écria-t-il, si plein de colère qu’il s’avança sur elle en levant la main.

Fauvette poussa un étrange cri du fond de ses entrailles et le regarda d’un œil hagard. Il s’était arrêté.

— Frappe, lui cria-t-elle, frappe-moi donc !

Albert se détourna brusquement et alla donner du poing dans les vitres. Pour elle, s’affaissant sur le lit, elle éclata en larmes et en sanglots.

Pendant longtemps, on n’entendit que le bruit de sa respiration entrecoupée et de ses gémissements étouffés. Sombre, impatient, la tête dans ses mains, Albert attendait ; à la fin, il perdit patience, prit son chapeau et se dirigea vers la porte. Mais elle courut au devant de lui :

— Où vas-tu ? lui demanda-t-elle d’un ton effaré.

Et sa voix était redevenue douce, toute brisée qu’elle était.

— Je vous laisse ma chambre, répondit-il ; je fuis le spectacle de vos fureurs et je regrette d’emporter de vous un tel souvenir.

— Quoi ! dit-elle vivement, qu’ai-je dit ?… Tu ne veux pas qu’on se plaigne quand on souffre tant ? Vois, j’ai la tête brisée, et j’ai tant pensé de choses aujourd’hui !… Mais je ne dirai plus rien. Ne t’en va pas, je t’en prie ; car il faut que je te parle. Écoute-moi seulement un peu. Vois-tu, je ne peux pas supporter cette idée que je ne te verrai plus ; cela me tue, j’en deviendrai folle. Tu savais bien que je t’aimais.

Il fit un geste de lassitude.

— Je t’ennuie ! Rappelle-toi le temps où tu ne vivais que pour me voir. Oh ! est-il possible de changer ainsi ? Je ne puis pas le comprendre. Eh bien ! dis-moi seulement ce que je l’ai fait. Si je t’ai fait quelque chose, si j’ai mal agi, alors c’est différent, alors… je te demanderai pardon… je ne le ferai plus. Dis ? qu’as-tu à me reprocher ? Tu sais que tous ceux qui sont venus tourner autour de moi, je les ai renvoyés ; je n’ai vécu que pour toi. Je ne t’ai pas fait de dépenses, excepté quand j’ai été malade ; mais ce n’était pas de ma faute. Depuis j’ai mangé du pain sec souvent pour ne te rien demander ; j’ai accepté seulement de la toilette, parce que ça te faisait plaisir. Je soignais ton linge et tes habits ; tu m’as dis souvent : Quelle bonne petite femme tu fais, na Fauvette ! Oui, je rêvais de passer ma vie ainsi. Ce n’est pas que je n’eusse désiré davantage : oui, j’aurais voulu que nous fussions tout à fait ensemble, travailler près de toi, sans rien dire, heureuse d’être là ; et puis… comme d’autres… si heureuses, mon Dieu !… de petits êtres autour de moi… Oh ! je sais bien que cela ne se pouvait pas. Ç’aurait été trop de bonheur ! Et j’en avais assez d’ailleurs quand je te voyais si content de nos promenades du dimanche, de nos causeries, de nos tendresses ; j’avais le paradis dans le cœur. Cela s’en est allé peu à peu. Je l’ai bien senti. J’en ai tant souffert ! Mais je me disais : c’est qu’il s’habitue. Je ne pensais pas… Je n’aurais jamais cru… Non ! c’est impossible que tu ne m’aimes plus. Albert ! Moi, je t’aime toujours. Comment fait-on pour cesser d’aimer ? Alors ce n’est pas la peine… Il fallait me le dire alors. Mais non, non ! tu as voulu seulement être méchant n’est-ce pas ?… Tu n’as pas pensé à ce que disais. Ce sont tes parents qui t’ont fait croire. C’est cette femme de tantôt. Quelle effrontée ! venir te trouver dans ta chambre ! Voilà comme on te prend…

— Taisez-vous, s’écria-t-il ; oser l’injurier, vous ! Quand vous n’avez pas même le droit de parler d’elle !

Blessée, tremblante, elle le regarda plus fixement.

— Ne me parlez pas ainsi, Albert. Vous ne pouvez pas me mépriser… Ah ! que je souffre !

— Gardez cette chambre jusqu’au jour, dit-il en faisant un nouveau pas vers la porte. Je vais à l’hôtel.

— Ne t’en vas pas ! ne t’en vas pas ! s’écria la pauvre fille en se jetant encore au devant de lui. Mais est-il donc possible que tu n’aies plus de cœur ? C’est cette femme qui te l’as pris ? Tu m’as abandonnée pour elle ? comme cela ! si vite, sans raison ! Est-ce juste cela ? N’est-ce pas abominable ?

— C’est ce qui te trompe, reprit-il, et je veux te dire toute la vérité, parce qu’il faut que cela finisse et que tu prennes les choses sérieusement. Je ne suis ni un barbare ni un homme sans foi, comme tu le prétends dans ta colère. Je t’ai offert de t’aider, et c’est toi qui ne veux pas ; j’y suis prêt encore. Je ne t’abandonne point pour une autre ; tu n’as jamais pu compter que notre liaison durerait toujours, et c’est au contraire ma fiancée que j’ai trahie pour toi, car je suis engagé depuis plus de deux ans. Tu vois donc bien que tu n’as rien à dire et que les reproches portent à faux. C’est par sagesse que je te quitte. Je suis las des dangers que tu me fais courir, je ne veux plus m’exposer à ces esclandres : c’est une résolution bien définitive et à laquelle toutes les paroles ne feront rien. J’aurais voulu me séparer de toi en de meilleurs termes, parce que jusqu’ici tu as été une bonne fille, et je m’attendais de ta part à plus de douceur et de raison. Après tout, moi non plus ce n’est pas pour mon