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la calomnie qu’il venait de lancer contre un autre, le sacrifiant à sa place, et qu’importait cela ne pouvait pas beaucoup nuire à Pierre dans le monde, et, en ce qui touchait Marianne, mieux valait peut-être qu’elle ne fut pas si entichée de ce rêveur dogmatique, Mais comme elle pleurait ! ne semblait-elle pas en vérité aussi frappée que lorsqu’il s’était agi de lui-même ? Il trouvait cela monstrueux. Bientôt cependant Marianne essuya ses larmes, aspira l’air par la portière et fit effort pour se remettre.

— Arrivons-nous ? demanda-t-elle.

Albert donna l’ordre au cocher, puis il reprit la main de sa fiancée.

— Albert, dit-elle en penchant la tête sur l’épaule du jeune homme, cher Albert, que serait la vie, si nous ne pouvions croire, c’est-à-dire aimer ? Pour moi, je préférerais n’avoir jamais vécu, Albert, ô mon ami, je vous en supplie, faites que je puisse toujours croire en vous !

Troublé par cette invocation, et l’accent déchirant et suprême dont elle était faite, il ne sut répondre qu’en appuyant ses lèvres sur le front de sa fiancée. La voiture s’arrêtait. La jeune fille baissa son voile, descendit, et, franchissant légèrement le seuil de l’hôtel, monta dans sa chambre, tandis que Albert, apprenant que sa mère ni son père n’étaient encore de retour, entrait au salon.

Il pensait que Marianne viendrait l’y rejoindre, mais il attendit en vain. Seule dans sa chambre, elle avait cédé à un accès de chagrin, pendant lequel elle répétait : « Oh ! moi qui le croyais si haut, si fier, si vrai, si pur ! Est-il possible ? Moi qui abaissais Albert devant lui !

Elle se reprocha de nouveau d’avoir méconnu son fiancé et se promit de le venger par un redoublement d’amour et de confiance ; mais la blessure de sa déception à l’égard de Pierre Démier restait horriblement âpre et saignante.

— Ne plus croire, se disait-elle, en cette parole vibrante, en ce regard franc, en ces nobles et sérieux sentiments si fortement exprimés, cela me semble impossible ! S’il est trompeur, qui pourrai-je croire jamais ?

Alors elle imaginait des circonstances qui pouvaient l’excuser : sans doute il avait aimé cette femme sérieusement, avec l’intention de de l’épouser, et peut être s’était-elle rendue indigne… Mais d’autres pouvaient invoquer pareille excuse, et il n’y en avait pas moins dans une telle situation quelque chose de douteux et d’abaissant pour son héros, quelque chose d’horriblement triste, qui renouvelait à chaque instant les larmes de Marianne, et où elle trouvait la source d’une des plus âpres souffrances qu’elle eût ressenties. Il en fut ainsi jusqu’au moment où Mme Brou, de retour à l’hôtel, entra dans la chambre de sa nièce, accompagné d’Emmeline, après avoir laissé M. Beaujeu au salon avec Albert.

Marianne leur raconta rapidement ce qu’elle avait fait dans l’intérêt d’Albert, et il fut convenu qu’aussitôt l’arrivée du docteur, elle et Mme Brou sortiraient, sous prétexte d’une emplette, et, prenant une voiture, iraient en hâte s’arranger avec l’usurier. Devant le secours apporté par Marianne, Mme Brou voulut bien ne pas trop lui reprocher l’inconvenance de sa démarche ; elle s’en fit toutefois raconter les détails et leva plusieurs fois les mains au ciel.

— Dans sa chambre, grand Dieu !… Tous deux en voiture ! Hélas ! Marianne… Heureusement que nous sommes à Paris ; sans cela, vous seriez perdue de réputation, et ce n’est pas une raison parce que vous devez épouser Albert… car vous devez tenir à honneur de lui apporter une vertu sans tache… Je ne dis pas que vous n’ayiez eu bonne intention, ma chère enfant ; mais avec un peu plus de patience et de réflexion, un peu plus de confiance en moi, nous aurions arrangé les choses. Vous avez beaucoup pleuré, je le vois, et ce pauvre Albert a dû être bien puni de voir votre chagrin. Je veux aussi le gronder, cela lui servira de leçon, soyez en sûre. D’ailleurs vous touchez au terme, vous serez bientôt mariés, et alors ce sera à vous de savoir le retenir à la maison.

L’usurier consentit à attendre, mais ce ne fut pas à la sollicitation de Marianne ; car Albert, pour mille excellents prétextes, ne souffrit pas qu’elle fit cette démarche et ce fut lui qui accompagna sa mère. Il rentra chez lui, le soir, brisé de fatigue morale, et ne songeant plus qu’à prendre du repos, après tant de périls courus et l’effort de tant de mensonges. Il n’avait songé à Fauvette que pour se dire : « Il faut que cela finisse ; je lui défendrai de mettre les pieds chez moi. En passant devant la loge de la concierge, il demanda sa clef. On ne l’avait pas.

— Vous ne me l’avez point remise ce matin affirma la concierge, quand vous êtes sorti avec cette dame voilée.

Inquiet, il monta. Sa porte était comme il l’avait laissée, fermée au bouton, sans tour de clef.

— Elle aurait bien pu fermer ! se dit-il.

Et il alluma. Quand Albert vit clair dans la chambre, il laissa échapper une exclamation : Fauvette était là, sur le divan ; elle dormait. Sans doute, la fatigue l’avait : emportée ; car elle était seulement assise et toute repliée sur elle-même. Un cercle noir entourait ses yeux fermés, et au-dessus de ce cercle une ligne d’un rouge vif tranchait sur sa joue pâle, que les larmes semblaient