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l’instar de toutes les mères de fils coupables ; oui, c’est la faute de ceux qui l’ont entrainé. J’ai toujours cherché à le prémunir contre ces gens-là ; mais il ne m’a pas écoutée, jusqu’à voir ce Pierre Démier, qui est connu pour ses idées de désordre.

— J’espère, dit tout à coup Marianne, avoir trouvé le moyen de satisfaire ou du moins d’apaiser ses créanciers ; mais il faut avant tout que je vole Albert.

— Sans doute, vous avez raison, ma chère fille, se hâta de dire Mme Brou ; car il y a certainement beaucoup à rabattre dans tout cela… si même la chose est vraie. Que sait on ? Eh bien ! venez, nous allons courir chez Albert.

— Mais, maman, s’écria Emmeline, et M. Beaujeu qui va venir !

Mme Brou devint fort perplexe, quand Marianne trancha la difficulté.

— Je veux parler seule à Albert, dit-elle.

— Seule, Marianne ! Y pensez-vous ? Aller seule chez lui ! Je ne puis vraiment pas perdre mettre…

— Il faut pourtant que ce soit ainsi, madame, reprit la jeune fille ; j’ai aussi mon intérêt en ceci.

— Mais vous n’y songez pas, Marianne ? dans sa chambre !…

— Eh ! qu’importe, que ce soit dans sa chambre ou dans une autre ? répondit-elle avec le suprême dédain de la chasteté. J’irai seule trouver Albert ou je n’irai pas. Car, en tout ceci, la somme n’est rien, il y a autre chose, et ce qu’il y a, je veux le savoir.

— Bon n’allez pas vous faire des idées… Vous ne connaissez pas les jeunes gens, ma chère enfant. Vous sentez bien que ce ne sont pas des demoiselles. Il ne faut pas prendre les choses de si haut, Albert, je vous le dis, n’a d’autre tort que de s’être laissé entrainer par d’autres. Quel est le jeune homme qui n’en a pas fait autant ? Il faut en passer beaucoup aux hommes, voyez-vous ? Je ne vous l’aurais pas dit, parce que c’était inutile ; mais puisque cette occasion se présente…

Une voiture s’arrêtait à la porte de l’hôtel.

— Maman s’écria Emmeline en se précipitant à la fenêtre, voici M. Beaujeu !… Oui, c’est lui.

— Grand Dieu ! que faire ? s’écria Mme Brou, éperdue.

Marianne se dirigea vers la porte du salon.

— Où allez-vous, Marianne ?

— Prendre mon chapeau, madame, Veuillez ne pas m’arrêter, le temps est précieux. Vous savez qu’il faut une réponse ce soir ?

— Alors je vous accompagne, c’est mon devoir.

— Mais, maman, s’écria Emmeline en grand émoi, tu ne peux pas me laisser seule avec M. Beaujeu ?

En effet, quelle extrême inconvenance ! laisser en tête-à-tête deux prétendus ! Mais d’autre part, Marianne !… c’était des deux côtés la même énormité. Mme Brou se trouvait dans la situation de ce philosophe qui voyait un abime ouvert devant ses pas, à cette différence qu’elle en voyait deux. Jamais elle n’avait été à pareille épreuve. À ce moment, M. Beaujeu entra, et derrière lui Marianne sortit. La raison de Mme Brou se noyait dans les perplexités. Mais le tout-puissant décorum la saisit par les cheveux, car M. Beaujeu était devant elle ; il fallait faire bonne contenance et ne point laisser voir ses troubles de famille à ce prétendu jusqu’au mariage, étranger qu’il eût été si dangereux de mettre au courant de ces choses fâcheuses ; il ne devait les savoir que lorsqu’il ne lui serait plus possible de s’en retirer. Admirable probité des choses humaines !

Mme Brou arbora donc pour son futur gendre le plus doux sourire, et soutint la conversation jusqu’au moment où M. Beaujeu, proposant une promenade à ces dames, de manda si Mlle Marianne ne venait pas avec eux ?

— Elle est fort souffrante aujourd’hui, dit Mme Brou, et m’a demandé la permission de garder la chambre. Aussi nous sortirons volontiers, ma fille et moi, mais à la condition de rentrer au plus tard dans deux heures, car nous ne pouvons pas laisser longtemps seule cette chère enfant.

Elles montèrent alors pour prendre leurs gants et leurs chapeaux, et coururent tout d’abord à la chambre de Marianne. Elle était fermée et vainement elles frappèrent. L’enfant terrible était partie. Mme Brou leva les mains au ciel.

Elle l’avait bien prévu, mais ne pouvait prendre son parti d’une pareille inconvenance. Ah ! si elle avait su quel caractère…

— Mais, maman, observa Emmeline, il fallait bien s’occuper de sauver Albert, à moins d’avouer à papa…

Mme Brout frémit à cette seule idée. La cause de son fils était la sienne ; depuis le temps qu’elle le gâtait, cachait ses méfaits et le défendait contre son mari, elle avait fini par mettre tout son amour-propre et tous ses efforts à le faire trouver impeccable. Puis elle frémissait en pensant aux vivacités d’une explication entre le père et le fils, entre l’autorité despotique de M. Brou et la verve mordante d’Albert ; choc d’où pouvait sortir une longue mésintelligence. Après tout, Marianne était une sorte d’enfant perdue, réfractaire aux saines traditions, dont Mme Brou avait depuis longtemps désespéré. Il y eut donc dans ses soupirs un mélange de résignation, et elle n’en poussa pas un seul de