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aisée, et qu’il nous a dit en outre qu’il allait faire promptement un riche mariage.

— Monsieur, cria Mme Brou, qui perdait la tête, tout cela ce sont des calomnies !…

— Des calomnies ! Alors il nous a trompés en nous promettant de nous payer dès le lendemain des noces ? C’est indigne de sa part, Raison de plus pour nous adresser à la famille et poursuivre au besoin…

— Quelles infamies ! exclama de nouveau Mme Brou, près de s’évanouir. Sortez, mesdemoiselles, vous ne devez pas entendre…

— Pardon, madame, dit Marianne, j’en ai trop entendu pour ne pas vouloir apprendre le reste. Monsieur s’exprime et continuera de s’exprimer en termes convenables… Vous oubliez d’ailleurs que moi seule peut-être je puis trouver un moyen de dégager Albert.

Elle parlait ainsi d’un ton ferme, empreint même de l’accent d’une volonté absolue, et eût semblé calme sans sa pâleur.

Mme Brou joignit les mains avec une profonde angoisse et ne vit pas sans doute autre chose à faire. Ce fut Marianne qui reprit la parole :

— Votre créance, monsieur, est-elle prouvée ?

— Oui, mademoiselle, assurément, et M. Albert Brou ne la niera pas ; vous n’avez qu’à lui en parler. D’ailleurs j’ai ici la copie des pièces : il y a d’abord deux prêts faits à deux époques différentes : le premier, en juillet de l’année dernière ; le second, au mois de janvier de cette année, plus un mémoire du marchand de nouveautés, acquitté par nous ; plus la note du café de la Jeune-France. En tout, avec les intérêts composés, 8, 265 fr. Je ne parle pas des centimes. Car je puis vous assurer, mademoiselle, qu’aucune exagération ne peut nous être imputée ; nous ne sommes pas des usuriers, mais d’honnêtes gens, qui font tout simplement valoir leur capital selon les lois de l’offre et de la demande. M. Albert Brou n’a pas été poli vis-à-vis de nous. Il est vrai que nous avions tacitement adhéré à sa prière de ne réclamer la somme qu’après son mariage, mais on ne peut jamais prévoir l’avenir, et il nous est arrivé des malheurs. Une maison avec laquelle nous avions des relations commerciales très-étendues a fait faillite, ce qui nous oblige à faire rentrer tous nos fonds exigibles. Le billet de M. Brou est dans ce cas ; ce n’est pas notre faute. Nous avons dit tout cela à M. Brou ; mais il s’est emporté, s’est déclaré dans l’impossibilité de payer, et a refusé soit de parler à son père, soit d’emprunter d’un autre côté ; il nous a même dit des paroles blessantes, et cependant la démarche que je fais près de vous en ce moment vous témoigne que nous répugnons à employer la rigueur. Nous ne voudrions pas traîner devant les tribunaux un jeune homme de bonne famille, car nos sentiments sont trop délicats… Et c’est pour cela que nous avons préféré nous adresser à la mère et aux sœurs. Le cœur d’une mère contient d’inépuisables trésors… de tendresse. Je dois même vous avouer que cette idée vient de moi. Mon associé est un peu plus dur, et si l’on ne paye pas demain…

— C’est impossible ! gémit M Brou.

— Alors, madame, je le regrette ; car je n’obtiendrais pas de mon associé… Nous avons nos engagements à remplir.

— Vous aurez une réponse ce soir, monsieur, dit Marianne, et je ne doute pas qu’en présence de bonnes garanties et d’un payement très-prochain…

— Je verrai, mademoiselle, je ferai mon possible…

Il dit encore beaucoup de paroles sur l’honorabilité de sa maison, sur les regrets qu’il éprouvait… sur l’inflexibilité de son associé, sur leurs embarras, etc., et finit par mettre dans les mains de Marianne les copies de ces créances ; après quoi il donna son adresse et se retira.

Les trois femmes, restées en présence, se regardèrent avec des expressions diverses : Marianne était pâle et silencieuse ; Emmeline et sa mère, au milieu de leur désolation, l’observaient avec inquiétude.

— Mon pauvre enfant s’écria Mme Brou.

— On calomnie Albert, cela est certain, dit Emmeline.

— C’est indubitable ! répéta Mme Brou,

Et presque aussitôt, elle ajouta :

— Mais comment le tirer de là ? Grand Dieu ! Quant à parler à M. Brou, ce serait terrible ! Vous savez combien il est sévère… surtout en ce qui regarde les dépenses d’argent ; ce seraient des scènes entre Albert et lui… Mon Dieu ! comment faire ?

— Je n’oserais pas, dit Emmeline, en parler à M. Beaujeu, bien qu’il me soit tout dévoué…

— Jamais ! s’écria sa mère. Garde-t’en bien ! Ce serait la démarche la plus imprudente… Hélas ! le bonheur d’une femme tient à si peu !… J’ai 200 fr. d’économies, ajouta-t-elle en soupirant, et je les destinais à te faire un cadeau, ma fille, à l’occasion de ton mariage… Mais qu’est-ce que 200 fr. ?

— Une simple bouchée pour ces faiseurs de folie ! dit Emmeline avec dépit. Ils s’occupent bien… Au reste, dit-elle en se reprenant, je les sacrifie de bon cœur, maman, et ne t’en remercie pas moins…

— Je te reconnais bien là, ma fille ! Tu ne m’as jamais donné, quant à toi, que des sujets de satisfaction. Ah ! ce n’est pas qu’Albert !… Tout cela est la faute des mauvaises compagnies ! s’écria-t-elle avec courroux, à