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jeune fille fut étonnée en le regardant ; tout ce que ses traits avaient d’un peu rude pré nait à ce moment quelque chose d’âpre, de sauvage, mais illuminé d’un rayon qui donnait à ce masque énergique une étrange beauté.


Que pensez-vous ? lui demanda-t-elle émue.

Il sourit amèrement.

— Eh ! moi aussi, je suis comme les faux penseurs dont je parlais tout à l’heure : fort en théorie, pauvre en pratique. Mais on peut s’élever et j’y parviendrai.

— Comment ? que voulez-vous dire ?

— Oh ! laissez moi ce secret de ma faiblesse ; d’ailleurs je serai tout à vous.

Marianne le regardait un peu hésitante, étonnée, quand entrèrent M. Milhau, et Beaujeu. Eux aussi, vu leur veille précédente, s’étaient attardés dans le sommeil, et, arrivant assez honteux, ils furent enchantés d’apprendre que Mme Brou et sa fille n’avaient pas donné signe de vit. Marianne remonta s’enquérir des paresseuses ; elles étaient presque prêtes après avoir pris leur chocolat à la hâte, elles parurent enfin. On se mit en route aussitôt.

Ils entrèrent dans l’église de Notre-Dame, Emmeline donnant le bras à M. Beaujeu, Mme Brou a M. Milhau ; Pierre à Marianne. Mme Brou avait eu déjà le temps de dire à M. Milhau qu’il fallait absolument que la demande eut lieu le jour même, car elle ne voulait pas compromettre plus longtemps la réputation de sa fille, et d’ailleurs il n’était pas convenable que des rapports préliminaires aussi longs, — quoi ? cela datait déjà de quatre jours ! — puissent avoir lieu entre des jeunes gens.

— Eh bien ! ma chère madame, ce sera pour ce soir. Mon cousin n’a nullement envie de reculer, au contraire. J’espère que, de votre part, vous comptez sur le consentement d’Emmeline ?

— À vous parler franchement, oui, je l’espère ; elle est si raisonnable ; mais je n’ai pas voulu lui parler avant…

— Au moins vous l’avez sondée ?

— Un peu. Elle m’a dit qu’elle trouvait M. Beaujeu fort aimable, mais autrement elle ne songe pas du tout… et même quand je lui ai dit : Emmeline, il ne faudrait pas tant donner le bras à M. Beaujeu ; prends plutôt le bras de M. Milhau, avant que ce monsieur ait pu l’offrir le sien ; elle m’a répondu de son air candide : Oh ! maman, à Paris, qu’est ce que cela fait M. Beaujeu me raconte comment tout se passe à Paris, et cela m’amuse tant ! Elle est d’une innocence !

— Bon, bon ! Mais elle sait cependant qu’elle est en age de se marier, et pour moi Je pense qu’elle doit s’attendre à quelque chose et ne dira pas non.

Cet entretien expira du sein du temple, où Mme Brou, s’arrêtant dès les premiers pas, plongea dévotement ses doigts dans l’eau bénite. Sa fille l’imite, mais non Marianne.

— Vous n’êtes plus catholique demanda Pierre tout bas à la jeune fille.

— Qui vous a dit cela ?

— Je vois que vous laissez, à d’autres les bénitiers.

— C’est par égard pour vous, répliqua Marianne avec un sourire. On assure que l’eau bénite brûle les hérétiques, et j’aurais craint que quelque goutte, par mégarde, vous tombant…

— Non, non, ce n’est pas pour moi ni pour aucun autre. Si vous étiez catholique, vous vous seriez signée devant tous les libres-penseurs de la terre, et même vous n’auriez eu garde de l’oublier.

— Comment pouvez-vous me si bien connaître ?

— Je vous connais, et puis, vous ne pouviez plus être catholique, j’en étais sûr. Vous êtes des croyants de la seule vraie religion, qui est la recherche de la vérité ; vous êtes de ceux — si rares — dont les sentiments sont à eux-mêmes. Je sais cela depuis le temps où vous avez soutenu celle que tout le monde condamnait.

La main de Marianne serra doucement le bras de Pierre.

— Merci de me parler d’elle. Je ne l’ai point oubliée, et j’aurais souvent besoin d’en parler. Tout à l’heure, en entrant sous ces voutes, élevées par l’idéal d’un autre temps, j’ai pensé à elle. C’est une religion aussi que l’amitié, que le souvenir des morts aimés, tombés dans le gouffre de l’inconnu. Ces temples du passé sont-ils donc vraiment l’expression d’un sentiment religieux, impérissable même dans ses transformations successives ?

— Peut-être. Ou bien nous sommes encore assez près de cette forme pour en ressentir l’influence.

— Henriette ! murmura Marianne ; pauvre Henriette !

Elle pencha la tête d’un mouvement doux et recueilli, et Pierre vit une larme sur sa joue.

— Eh bien ! monsieur Démier, dit assez haut Mme Brou, ne voulez-vous pas nous montrer un peu l’église ?

— C’était presque dire à Pierre qu’on ne l’avait invité que pour cela. Il regarda la digne bourgeoise avec un sourire.

— Assurément, madame, je n’ai point oublié la promesse que j’en ai faite à Mlle Aimont.

Il commença par les ramener à l’entrée pour observer l’ensemble de l’architecture, et fit l’historique des constructions successives et des vicissitudes du vieux monument. Sa