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— Eh bien ! tu m’as vue près de la femme de ce monsieur qui était avec nous. Je devais être poli avec elle, je l’ai été.

C’était avec malaise que Pierre assistait à ce colloque ; il sembla n’y pouvoir tenir davantage et se glissa dans sa chambre. Quant à Fauvette, elle jeta ses mains sur ses yeux et poussa un gémissement ; puis, regardant Albert tout à coup par un brusque mouvement :

— Tu mens ! tu mens ! tu mens ! cria-t-elle.

— Fauvette !… Vous croyez, s’écria-t-il ensuite, que je me laisserai insulter ainsi ? Je vois que vous voulez une rupture, eh bien !…

La pauvre fille laissa échapper un cri de douleur qui semblait sortir de ses entrailles ; puis elle recula, se laissa tomber sur une chaise et fondit en larmes.

Ce n’était pas le compte d’Albert de la voir s’établir ainsi dans sa chambre, et il n’avait pas le temps d’être touché. Il s’approcha d’elle.

— Écoute, Fauvette, lui dit-il ; tu te fais un mal énorme, et pourquoi ? Parce que des gens, qui évidemment sont nos ennemis, t’ont dit des mensonges. Quelles sont ces personnes, dis ? Je les confondrai.

Elle secoua la tête.

— C’est une femme, dit-elle ; tu n’as pas besoin de la menacer, elle se moquerait de ta colère.

— Son nom ? Je veux lui parler devant toi.

— J’ai promis de ne pas le dire.

Il prêta l’oreille du côté de l’escalier, Non, ce n’était rien encore. Mais ils tardaient, il n’y avait pas un moment à perdre.

— On t’a trompée, dit-il à Fauvette, et je te le prouverai ; mais encore une fois il faut que tu partes sur-le-champ. Tu veux savoir la vérité ; cette fois la voici : ce sont mes parents que j’attends, c’est ma mère et ma sœur qui vont venir ici. Comprends-tu maintenant qu’il faut que tu te hâtes ? Vous ne devez pas même vous rencontrer sur l’escalier ?

— Ah ! vraiment ! je suis méprisable à ce point ? s’écria-t-elle.

Albert laissa échapper un geste d’impatience. Mais il n’avait pas le temps de se fâcher, il embrassa Fauvette.

— Méchante ! tu sais bien que je t’adore, et tu sais bien aussi que je ne suis pas libre vis-à-vis de ma famille ? Si l’on savait… On emploierait tous les moyens pour me séparer de toi, et je ne le veux pas ; car je t’aime, Fauvette, ma petite Fauvette ! mon cœur ! mon amour !

— Tais-toi, dit-elle en frémissant ; ne mens pas.

— Je ne mens pas, je t’aime ! Tout à l’heure, si je t’ai dit autre chose, ne comprends-tu pas que c’était par délicatesse pour toi ? Je ne voulais pas te dire : Ma mère et ma sœur viennent ; il faut que tu t’enfuies. Mais cela est pourtant nécessaire, ma pauvre chérie ; car ils vont venir, oui, et je tremble à tout moment.

— Je le vois bien que tu trembles, répondit la jeune fille, dont les larmes s’étaient arrêtées ; mais, dis-moi, pourquoi parles-tu seulement de ta mère et de ta sœur, et ne parles-tu pas de ta fiancée ?

— Elle n’est pas ma fiancée, mais seulement ma cousine. Est-ce ma faute, à moi, si ma famille a des vues que je n’approuve pas, dans lesquelles je n’entrerai jamais, entends-tu, petite ingrate ? Oui, ingrate ! Douter que je l’aime ! elle, mon amour !… Ah !…

Il l’avait soulevée de sa chaise, et, entourée de ses bras, l’entraînait vers la porte. Silencieuse, inquiète encore, mais à demi gagnée elle se laissait faire, quand Albert tressaillit et pâlit. Il entendait monter… des voix… Oui, c’était… c’était bien eux. Ah ! malédiction ! Que faire ? il n’avait plus le temps… S’ils allaient la voir sortir… Marianne !… Jamais !… Un mouvement de rage le prit, et il l’eût volontiers brisée, anéantie, cette créature qu’il venait de nommer des plus doux noms, car elle le perdait ! Tout à coup, il eut une inspiration, et, se rejetant vivement en arrière, il poussa Fauvette dans la chambre de Pierre en lui disant :

— Les voici ! Il ne faut pas, à aucun prix, qu’ils te voient. Prends garde ! pas d’imprudence ! pas de folie ! ou je ne te pardonnerai jamais ! Prends garde ! répéta-t-il d’un ton plein de menace.

Et il referma la porte de Pierre.

On frappait à la sienne l’instant d’après. Il alla ouvrir et, tout en couvrant ses traits d’un sourire de satisfaction, il se dissimulait dans l’ombre, derrière la porte, pour achever de se remettre.

Mme Brou, Marianne, MM. Brou, Milhau et Beaujeu entrèrent.

— Le souper n’est pas encore arrivé, dit Albert ; j’ai pourtant scrupuleusement fait la commission.

— Nous venons d’y passer aussi, dit M. Milhau ; le garçon nous suit.

— Voici donc ta chambre ? mon pauvre enfant, s’écria Mme Brou en promenant les yeux autour d’elle ; mais elle n’est vraiment pas mal.

— Je l’ai préparée de mon mieux pour vous recevoir, dit Albert, qui, le masque hilarant, et plein d’empressement, se donnait l’aspect d’un maitre d’hôtel en fête.

— Est-ce pour cela que tu as mis la commode au milieu de la chambre ? demanda Emmeline en riant.

Marianne aussi se mit à rire.