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— Oh ! mais, sans cérémonie, chère madame, n’est-ce pas ? dit Emmeline, parce nous courrons toute la journée, et nous sommes faites comme des provinciales en voyage.

— Sans cérémonie, assurément, répondit Mme Milhau. Cependant je vous veux en toilette, mes petites belles ; car j’entends vous mener ensuite au concert des Champs-Élysées.

— Au concert des Champs-Élysées ! Quel bonheur ! Oh ! alors, madame, je veux me faire très-belle… pour vous plaire, et pour le concert.

Ces messieurs échangèrent un demi-sourire d’intelligence.

— Chère enfant ! murmura Mme Brou à l’oreille de Mme Milhau, si elle savait…

— Vous voyez, cela s’arrange à merveille, répondit l’obligeante amie

À merveille ! en vérité ; car dès lors, en toute innocence, avec une adorable candeur, Emmeline ne fut plus occupée que de se composer une délicieuse toilette. Elle entraina ses parents dans les magasins et choisit un joli chapeau, un canezou de dentelle des plus gracieux, d’élégants brimborions ; Mme Brou, très-discuteuse à l’ordinaire sur les choix, ne la contraria pas trop, et M. Brou, très-regardant d’habitude sur les prix, cette fois ne refusa rien, condescendance qu’Emmeline ne sembla point remarquer. Elle était si préoccupée de… ce concert ! Elle voulut se faire coiffer et mit à sa toilette tout le soin et la perfection dont elle était capable.

— Tout cela s’arrange on ne peut mieux, disait Mme Brou à l’oreille de son mari ; elle sera ce soir ravissante.

Jamais en effet les intérêts de la coquetterie ne furent mieux servis par l’ignorance. Ce fut à peine si Emmeline fit attention à ce convive imprévu que le hasard sans doute avait placé près d’elle ; mais elle n’en fut que plus gaie, plus naïve et gentille. Le concert des Champs Élysées revenait à chaque instant dans ses discours, et toute sa contenance témoignait de sa préoccupation.

— Tu aimes donc la musique à Paris plus qu’ailleurs ? ne put s’empêcher de lui dire Marianne, un peu étonnée.

— Ma chère, tu sais bien, je l’aime partout, mais à Paris ce doit être plus beau qu’ailleurs. Et puis ce concert est un rendez-vous des Parisiennes élégantes ? N’est-ce pas, monsieur ? ajouta-t-elle en se tournant tout à coup pour attacher sur son voisin de beaux yeux candides.

— Oui, mademoiselle.

— Ah ! quel bonheur. Je vais donc voir ces belles toilettes qu’on imite partout et ces femmes qu’on dit si gracieuses !

— Je pourrai, mademoiselle, vous désigner un grand nombre d’entre elles et vous les nommer, si vous me permettez de vous offrir le bras, dit avec empressement M. Beaujeu.

— Quoi ! vraiment, monsieur ? Oh ! j’en serai si heureuse ! Vous me ferez un plaisir ! Vous les connaissez ?

— M. Beaujeu est un Parisien pur sang, dit Mme Milhau.

— Que c’est beau d’avoir toujours vécu à Paris s’écria Emmeline d’un air rêveur.

— Vous aimeriez beaucoup habiter Paris, mademoiselle ?

— Oh ! monsieur ! Est-ce une question ?… Je crois bien !… Mais un pareil bonheur ne m’arrivera jamais.

— Ce serait alors votre faute, car les Parisiens ont des yeux…

Emmeline baissa la tête avec une charmante pudeur :

— Oh ! monsieur, ce ne sont pas de pauvres petites provinciales qui peuvent prétendre à lutter avec des Parisiennes…

— Mademoiselle, permettez-moi de vous dire qu’il y a peu de Parisiennes qui valent certaines provinciales…

Un frémissement d’intelligence parcourut les visages des quatre instigateurs du complot ; M. et Mme Milhau, M. et Mme Brou ; Marianne elle-même jeta un regard attentif sur M. Beaujeu. Emmeline eut la chance de rougir, prit un petit air surpris et effarouché ; mais elle n’eut pas l’embarras d’une réponse. M. Beaujeu continuait :

— D’ailleurs toutes les Parisiennes ne sont que des provinciales.

— Vraiment ?

La conversation continua sur ce sujet entre M. Beaujeu et sa voisine, et, grâce à l’ingénuité de celle-ci, devint presque intime. Il est vrai qu’il ne s’agissait que de gracieux enfantillages ; mais ces enfants innocentes donnent tout de suite leur confiance, et il est évident qu’Emmeline avait donné la sienne à M. Beaujeu. Au reste, cela ne tirait pas à conséquence. Lorsqu’on se leva de table, elle planta là son voisin, et alla passer le bras autour de la taille de Marianne, à laquelle elle se mit à dire des riens en grand secret, riant ensuite de tout ce que disait son frère. M. Milhau s’approcha de M. Beaujeu.

— Eh bien ! mon cher, qu’en dites-vous ?

— Véritablement elle est charmante ; moins belle peut-être que sa cousine, mais beaucoup plus piquante. Et cela sans art, la pauvre enfant. Mais c’est cette naïveté même qui me touche. Ah ! quand on n’a connu que des femmes… du mauvais monde, cette simplicité, cette innocence, rafraichissent le cœur !……

— Très bien ! mon cher, très-bien ! Je vous l’avais dit…