Page:Leo - Marianne.djvu/129

Cette page n’a pas encore été corrigée

homme appela un médecin. Fauvette avait une angine, maladie épidémique alors et dangereuse. Aucune amie ne voulut s’exposer pour soigner la malade, Marie en exprima ses regrets, mais Lacasse le lui défendait. Albert et Pierre, aidés par la concierge de la maison, se relayèrent près de Fauvette. Celle ci, dans le délire même, gardait une lucidité tenace, effrayante d’intensité. Elle voulait être aimée, rester belle et poétique aux yeux de son amant, et, dans cette idée, elle l’écartait d’elle, soit comme garde-malade, soit comme médecin. Parfois ses yeux s’attachaient sur ceux de Pierre avec une expression ardente d’angoisse, de confiance et de prière. Il comprit, sacrifia son temps, se fit assidu et vigilant comme un frère et entra dans les ruses de la pauvre enfant, ne laissant à Albert que le rôle d’amant et de consolateur.

Heureusement, à l’aide insuffisante de la concierge, vint s’en ajouter une plus efficace.

Mlle Florentine, peu de jours après la cérémonie des funérailles, où elle s’était trouvée l’obligée de Fauvette, était venue, selon sa promesse, lui faire visite, et bien que le ton et les manières de la vieille étudiante ne plussent pas à la jeune fille, celle-ci, que la bonté rendait perspicace et qui avait connu la misère, la devinant dans cette ruine, avait été bonne, engageante, Charmée de cet accueil, Mlle Florentine était revenue, avait affiché pour Fauvette une grande sympathie, et s’était fait parfois offrir un diner, une ou deux fois le prêt d’une pièce de 5 francs que Fauvette exigeait d’Albert. Apprenant la maladie de sa jeune amie, Florentine accourut s’établir à son chevet.

— Pour moi, je n’ai pas peur, disait-elle ; si je tombe malade, on me portera à l’hôpital, et si je meurs, personne ne me regrettera, ni moi non plus.

Elle soigna Fauvette avec beaucoup de zèle, tout on goûtant pour sa part la volupté profonde de se voir apporter, matin et soir, un plat de chez la fruitière. Plus tard, quand Fauvette fut rétablie, Florentine ne pouvait se résoudre à la quitter.

— Non, non, ma petite chatte ; vous n’êtes point encore assez forte. Gardez votre petite maman près de vous quelques jours de plus, il faut tant prendre garde aux rechutes !

— Mais vous êtes si mal couchée sur ce vieux canapé !

— Moi, pas du tout. Oh ! j’y passerais bien des nuits encore ! Je m’y trouve très-bien.

Quand Albert, ennuyé de trouver toujours Florentine chez Fauvette, exigea qu’elle partit, la pauvre étudiante dut avouer qu’elle n’avait plus de domicile.

— Vous comprenez, dit-elle, je devais là-bas, rue Saint-Jacques, cinq ou six termes, et la portière, qui est une femme sans délicatesse, me faisait mille avanies. Je me suis dit : Il est bien inutile, puisque je couche chez Fauvette, de devoir quinze jours de plus. J’ai emporté mes hardes petit à petit, en deux ou trois voyages, et maintenant je ne n’y puis pas retourner.

Elle ne pouvait pas davantage louer autre chose, n’ayant pas un sou d’avance à donner, En termes fort délicats, elle fit entendre combien les temps devenaient durs et les protecteurs rares, surtout pour une personne qui n’admettait d’autre choix que ceux du cœur ; elle se trouvait momentanément dans la peine, comme elle pouvait demain rouler sur l’argent. On ne sait ce qui peut arriver, mais il y a parfois des temps difficiles pour les personnes qui se respectent.

— La petite mansarde au-dessus de ta chambre est libre, dit Fauvette à Albert ; c’est tout petit et pas cher : 15 francs par mois. J’ai parlé à la concierge ; cette pauvre fille mérite bien qu’on l’aide pour les soins qu’elle m’a donnés. Tu aurais payé plus cher une autre garde.

— C’est fort bien, répondit Albert d’un ton maussade ; mais j’aimerais mieux qu’elle allât ailleurs. Je ne veux pourtant pas entretenir cette vieille.

Il paya cependant, mais la dernière phrase fit pleurer Fauvette. Qu’était-elle autre chose elle-même à présent qu’une entretenue ? Sa maladie avait beaucoup couté. Albert avait du payer le mois arriéré de sa chambre avec les nouveaux ; le médecin avait absolument défendu qu’elle se livrât de longtemps à la couture plus de quatre ou cinq heures par jour ; ses pratiques la quittaient. Ce qu’elle n’avait pas voulu accepter lui était donc imposé fatalement, et cela quand elle souffrait déjà de trouver plus tiède l’amour d’Albert !

Elle eut une angoisse nouvelle quand Albert lui annonça qu’il attendait prochainement une visite de sa famille, et que pendant ce temps ils ne pourraient guère se voir.

— Il faudra beaucoup de prudence, ajouta-t-il.

— De prudence ! mais ils ne viennent pas loger chez toi ?

— Sans doute. Il est probable même qu’on ne mettra pas le pied dans ma chambre ; mais enfin c’est égal, il est bon de prendre garde. Si ma mère… si mon père venaient à soupçonner que j’ai une liaison… sérieuse, ils seraient très-mécontents.

— Ils sont donc bien sévères ? Il y a ta sœur aussi ?

— Oui, dit sèchement Albert.

— Est-elle… bonne, jolie ? T’aime-t-elle bien ?