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M. Brou s’était levé ; il regarda la pendule, qui marquait l’heure du coucher. La discussion était close. Que faire contre un président, votre adversaire, qui lève la séance ? Marianne resta muette, Puis d’ailleurs n’étaient-ce pas là de bonnes raisons ? Si vraiment il en était ainsi, si les choses s’arrangeaient si bien toutes seules, si l’honneur du docteur devait rester intact et même être vengé, il n’était plus besoin évidemment d’aucun remède héroïque. Au bout d’un instant de silence, Marianne ouvrait la bouche. Était-ce pour insister encore ou se désister ? Le docteur ne voulut pas le savoir. Il reprit la même thèse avec de nouveaux développements, alluma un bougeoir, et mit en finissant un baiser sur le front de sa pupille.

— Bonsoir, mon enfant.

Puis il se retira d’un pas majestueux et décisif.

À partir de ce moment, M. Brou supporta angéliquement la calomnie ; mais, quant à Mme Brou, il n’était pas en son pouvoir de pardonner à sa future belle-fille tant d’excentricités accumulées.

— Non, disait-elle à son mari, je ne peux pas la comprendre, et je n’ai plus du tout confiance au bonheur d’Albert. Une personne à qui il tombe dans la tête des idées de l’autre monde et qui vous les dit comme ça !… Qui ne se demande jamais, avant de parler ou d’agir, si c’est convenable ? Et encore !… s’occuper des filles perdues, une demoiselle comme il faut ! N’est-ce pas impudique ? Vois Emmeline, quand on parle de ces créatures, elle baisse tout de suite les yeux, et l’on voit bien qu’elle ne voudrait pas y toucher du bout du pied. Voilà une jeune fille bien élevée. Mais la pupille ! Non, ce n’est pas comme ça que j’avais rêvé la femme d’Albert, et, je te l’avoue, à 50, 000 francs de moins, j’en aimerais mieux une autre.

Pauvre Marianne ! avait-elle réellement pour 250, 000 fr. de travers ? Le docteur, bien que fort contrarié, en homme pratique, inclinait à l’indulgence.

— Tout cela passera avec l’âge, disait-il. Elle a été mal élevée, on ne peut le nier ; mais c’est affaire à son mari de la réformer. Pour nous, nous n’avons qu’à conduire les choses tout doucement jusqu’au mariage, et alors notre tâche sera finie. Ayons patience jusque là.



XI

L’été se passa toutefois sans nouveaux orages, à part une brouille solennelle avec les Turquois, qui fit dire plus de paroles, tant dans la maison Brou qu’au dehors, qu’il n’en faudrait pour résoudre la question sociale, si, de part et d’autre, on s’écoutait seulement un peu. Mais ni les Turquois ni les Brou n’écoutèrent, ils se bornèrent à parler. Et de plus, chacun d’eux, bien loin de désirer s’entendre avec son adversaire, n’aurait eu qu’un désir, celui de le mettre en petits morceaux.

En revanche, l’élégante et spirituelle Marthe Touriot, la femme du major, devint plus que jamais l’amie intime des Brou. Elle ne se brouilla point cependant avec les Turquois, mais elle en disait énormément de mal : c’était une compensation. Elle faisait aussi beaucoup de compliments à Mme Brou, et lui disait parfois : « Chère Mme Brou, vous qui savez si bien tout ce qui est convenable, donnez-moi donc un conseil. »

Il n’en fallait pas plus pour que M. Touriot devint une femme accomplie.

— Elle se refait beaucoup depuis quelque temps, disait la fantasque Parisienne, la digne bourgeoise.

Et vraiment, il y avait entre elles des airs de fille aînée et de mère amie fort amusants. Marthe Touriot se donnant vingt-huit ans, il était bien naturel qu’elle aimât la société des jeunes personnes ; elle chantait et jouait avec Marianne, et donnait à Emmeline quelques bonnes leçons. Mme Brou prit tant de confiance en sa jeune amie qu’elle consentit à lui envoyer fréquemment ses filles pour goûter et faire de la musique. Mme Touriot les reconduisait le soir et souvent restait à diner avec la famille. C’étaient d’aimables journées. Marianne, elle aussi, trouvait la jeune femme charmante et se plaisait beaucoup dans sa société.

Comme elles étaient l’une et l’autre de bonnes musiciennes et avaient de jolies voix, elles étudièrent des duos et des morceaux à quatre mains, qu’elles devaient exécuter aux petites soirées de la préfecture. Cela obligeait Marianne de se rendre fréquemment chez Mme Touriot, où Emmeline, n’ayant rien à faire dans ces études, ne l’accompagnait pas. Quelquefois, le piano étant au salon, elles étaient interrompues par des visites ; un jour ce fut celle du bel Horace. Quoi de plus simple ? C’était un hasard. Il parut lui-même étonné de voir Marianne ; mais son respect et son empressement pour elle n’en furent que plus spontanés, et il était même difficile de ne pas les trouver touchants après le refus que l’hiver précédent Marianne lui avait infligé. Il fut très-aimable, mais sans vivacité, avec une certaine grâce laugoureuse.

Après son départ :

— Pauvre garçon ! dit la belle Marthe je ne sais vraiment pas ce qu’il a depuis cet hiver ; mais il n’est plus reconnaissable. Autrefois il était si gai ! puis il avait le