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ce salon trop fermé, trop sombre ; je suis monté. Je t’écris parce que tu ne m’écris pas. Voici bientôt deux semaines que je suis ici. Rien donc là-bas ne remue ? Le monde va-t-il s’immobiliser exprès ? Le duc d’Hellérin s’est-il endormi en Allemagne ? Si je lui écrivais ? Non, il vaut mieux le voir. Je crains sa femme. Elle ne me pardonnera jamais certaines avances dédaignées… Et pourtant c’est sur le duc, mon parent, que je puis le plus compter.

À propos, quand j’ai dit que le duc était mon parent, pourquoi Blanche a-t-elle rougi ? Et son visage a rayonné ensuite, comme si cela valait la peine d’une émotion intérieure. Ah ! les préjugés bourgeois. S’ils ne sont pas exactement les mêmes que ceux des nobles, c’est qu’ils sont plus sots. Je n’aime pas cela. De la vanité dans cette âme d’enfant, si pure ! C’est la faute de tante Clotilde ; mais ce défaut d’emprunt, je l’effacerai.

Ce qui est très-gênant, c’est qu’on ne nous laisse seuls que par échappées. Cela s’oppose à tout épanchement sérieux. Je voudrais l’interroger, pénétrer ses idées, lui dire ce que je pense, ce que je crois, m’éclairer peut-être par son ignorance, développer sa pensée par la mienne. Mais pour ces unions intimes de l’âme, il faut être seuls. En présence d’un tiers, fût-il le meilleur des amis, l’abandon n’y est plus.

Cependant, quand je la regarde, avec son front et son regard angéliques, il me semble qu’elle sait tout, bien suffisamment.

Mais moi je ne la sais pas assez ; moi, je la voudrais étreindre jusqu’au fond de l’âme.