Page:Leo - Les Deux Filles de monsieur Plichon.djvu/92

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

frais d’amabilité. Ce n’est pas à une simple jeune fille que je dois plaire, mais à une femme blasée par les plaisirs et les succès. Et je suis loin d’avoir les moyens dont tu disposes.

À toi.
Gilbert.



VINGT-UNIÈME LETTRE.

WILLIAM À GILBERT.

15 août.

Je mène ici l’existence la plus monotone en apparence, et cependant la plus remplie que j’ai eue jamais. Jusqu’ici, j’ai vécu dans l’activité fébrile de Paris, où l’on se hâte pour perdre le temps, où l’on s’agite tant pour ne rien produire. Quelquefois, souffrant, je m’isolais ; mais au milieu de la foule, on ne s’isole jamais complètement ; nous agissons trop les uns sur les autres. Cet ouragan fouettait ma pensée ; elle volait, effleurant tous les sujets sans les approfondir, et ne recueillait que doutes, amertumes, découragements. Au milieu de ce tumulte, je n’ai pu jamais être vraiment seul avec moi-même. Nous ne le sommes jamais. Ici du moins un seul être m’accompagne ; un seul tableau, la grande et calme nature est sous mes yeux, et je puis entendre en moi jusqu’aux chuchotements du cœur et de la pensée.

Je me lève assez matin et reste seul jusqu’à neuf ou dix heures. Ou j’écris, ou j’arpente la campagne, délicieuse à cette heure-là. Puis je rentre et m’arrête dans le jardin,